mercredi 1 février 2012

Un Hémisphère dans une chevelure Baudelaire ( Le Spleen de Paris France )



Autoportrait

                                       Baudelaire décrit dans deux textes les sentiments que lui inspire la
                                       chevelure.  Le premier La Chevelure parait dans Les Fleurs du Mal  le
                                       second  poème en prose dans Le Spleen de Paris Petits Poèmes en prose
                                       Le souvenir de Jeanne avec qui il vécut une longue liaison orageuse l'a-t-il
                                       inspiré. Parution posthume.


                                       Un Hémisphère dans une Chevelure

                                       Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger
               tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main
               comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air.
                                       Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que
               j'entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes
               sur la musique.
                                       Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures ;  ils
               contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, ou
               l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les
               feuilles et par la peau humaine.
                                        Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants
               mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes
              découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse
              l'éternelle chaleur.
                                        Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues
              heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par le roulis
              imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraichissantes.
                                        Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à
              l'opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplandir l'infini de l'azur tropical ;
              sur les rivages duvetés de ta chevelure je m'enivre des odeurs combinées du goudron, de musc
              et de l'huile de coco.
                                        Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille
              tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.


                 
                        Charles Baudelaire


                                      


                                        


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