jeudi 26 avril 2012

Lettres à Madeleine 32 Apollinaire ( suite )

Le deuxième poème secret
monstre et boulingrin
            La nuit la douce nuit est si calme ce soir que l'on n'entend que quelques rares éclatements
            Je pense à toi ma panthère bien panthère oui puisque tu es pour moi tout ce qui est animé
            Mais panthère que dis-je non tu es Pan lui-même sous un aspect femelle
            Tu es l'aspect femelle de l'univers vivant c'est dire que tu es toute la grâce
                      toute la beauté du monde
            Tu es plus encore puisque tu es le monde même l'univers admirable selon la norme
                     de la grâce et de la beauté
            Et plus encore mon amour puisque c'est de toi que le monde tient  cette grâce et
                    cette beauté qui est de toi
            Ö ma chère Déité, chère et farouche intelligence de l'univers qui m'est réservé
                    comme tu m'es réservée
           Et ton âme a toutes les beautés de ton corps physique c'est par ton corps que m'ont été
                    immédiatement accessibles les beautés de ton âme
           Ton visage les a toutes résumées et j'imagine les autres une à une et toujours nouvelles
           Ainsi qu'elles me seront toujours nouvelles et toujours toujours plus belles
           Ta chevelure si noire soit-elle est la lumière même diffusée en rayons si éclatants que
                     mes yeux ne pouvant la soutenir la voient noire
           Grappes de raisins noirs colliers de scorpions éclos au soleil africain noeuds
                     de couleuvres chéries
           Onde, ô fontaines, ô chevelure, ô voile devant l'inconnaissable, ô cheveux
           Qu'ai-je à faire autre chose que chanter aujourd'hui cette adorable végétation
                   de l'univers que tu es Madeleine
           Qu'ai-je à faire autre chose que chanter tes forêts moi qui vis dans la forêt
           Arc double des sourcils merveilleuse écriture, sourcils qui contenez tous les signes
                   en votre forme
           Boulingrins d'un gazon où l'amour s'accroche ainsi qu'un clair de lune
           Mes désirs en troupeaux interrogatifs parcourent pour les déchiffrer ces runes
           Écriture végétale où je lis les sentences les plus belles de notre vie Madeleine
           Et vous cils, roseaux qui vous mirez dans l'eau profonde et claire de ses regards
           Roseaux discrets plus éloquents que les penseurs humains, ô cils, penseurs penchés
                   au-dessus des abîmes
           Cils soldats immobiles qui veillez autour des entonnoirs précieux qu'il faut conquérir
           Beaux cils antagonistes, antennes du plaisir, fléchettes de la volupté
           Cils anges noirs qui adorez sans cesse la divinité qui se cache dans la retraite
                    mystérieuse de vue mon amour
           Ö touffes des aisselles troublantes plantes de serres chaudes de notre amour réciproque
           Plantes de tous les parfums adorables que distille ton corps sacré
           Stalactites des grottes ombreuses où mon imagination erre avec délices
           Touffes, vous n'êtes plus l'âche qui donne le rire sardonique et fait mourir
           Vous êtes l'ellébore qui affole vous êtes la vanille qui grimpe et dont le parfum est si tendre
           Aisselles dont la mousse retient pour l'exhaler les plus doux parfums de tous les printemps
           Et vous toison, agneau noir qu'on immolera au charmant dieu de notre amour
           Toison insolente et si belle qui augmente divinement ta nudité comme à
                   Geneviève de Brabant dans la forêt
           Barbe rieuse du dieu frivole et si gracieusement viril qui est le dieu du grand plaisir
          Ö toison triangle isocèle tu es la divinité même à trois côtés, touffue innombrable
                  comme elle
                                       Ô jardin de l'adorable amour.
                  Ô jardin sous-marin, d'algues de coraux et d'oursins et des désirs arborescents
                      Oui, forêt des désirs qui grandit sans cesse des abîmes et plus que l'empyrée


                                                                                                  Gui aime Madeleine
                                                                                                      Je t'aime ma Madeleine
                                                                                                  Je t'aime Gui


          ..........
               (  troisième poème secret suit. Il n'est pas transcrit ici. La copie manuscrite du texte est ajoutée. Il suffit au lecteur de se procurer le livre " Lettres à Madeleine " éd. Gallimard  pour retrouver toutes les lettres qui ne seront pas sur le site. Quelques-unes fort intéressantes compléteront
cette partie consacrée au poète )
                  
           

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