samedi 5 mai 2012

Pensées d'hier pour aujourd'hui La Bruyère La Rochefoucauld et les autres


prélude à l'après-midi d'un faune
Debussy compose
texte Mallarmé

                                                                                                             6 mai 1923

            Hier, déjeuné chez Mme Pailleron avec Maurice Barrès, l'abbé Brémond, Jacques Boulanger. Ce fut délicieux, car on ne parla que de littérature et Barrès s'y montra tout entier. Tout d'abord, il fut question de George Sand qu'il aime, et dont il admira le portrait fait par Delacroix et qui orne le cabinet de travail de la dame de céans. Il y a, chez elle dit-il, de " la sonorité intérieure ". Il rappelle le discours de Hugo à ses funérailles et il le trouve très beau. Barrès aime aussi Victor Hugo, surtout sa prose. Il lit avec plaisir toute la prose d'Hugo, même - Mes fils, Paris, Shakespeare - et il y trouve des sonorités ( qui expriment évidemment des idées niaises ), toute une orchestration , des brisures de phrases qui l'enchantent. Ce que dit Hugo est absurde, et cependant lui, Barrès, est ravi et combien je suis de son avis ! Barrès n'aime pas Alfred de Vigny. Il fait partie, pour lui, d'une série qui commencerait à Vauvenargues et finirait à Vogüe : de la gaucherie, du pédantisme... Barrès dit beaucoup de mal de Mallarmé. Lui aussi est allé autrefois chez Mallarmé, sous peine de rester seul dans le café. Là on se trouvait devant un être quelconque. On ne disait rien de nouveau. C'étaient toujours les mêmes choses. Mendès y régnait, Zola y disciplinait son troupeau de porcs, Mallarmé son troupeau de sylphides. Chez Mallarmé, Disait Barrès, on ne finissait pas les phrases. Elles ressemblaient à des danseuses, à des papillons qui se projettent contre des vitres. Il n'aime pas L'Après-midi d'un Faune. Il n'aime pas non plus Paul Valéry. Il ne trouve aucun plaisir à le lire. Barrès aime, dit-il, à ce que le travail soit déjà fait par les auteurs qu'il lit, et que cette lecture lui donne une surabondance de lumière. Valéry, dt-il, c'est un cigare refroidi sur une table de café. Quel plaisir peut-on trouver à lire Valéry, disait Barrès ! Barrès lui reproche de na pas aimer la littérature pure. La poésie, dit-il, est intraduisible. Barrès répond que dans Baudelaire, il y a un point de départ, une flèche qui d'ailleurs ne va pas très loin. Dans Mallarmé et Valléry, rien de semblable. Ce que Barrès veut c'est un grand et beau sujet, et non pas le drame des mouches au plafond.
            Ah ! Barrès est bien, bien dédaigneux, bien fermé à beaucoup d'admirations. J'aime un peu plus d'horizon et d'oxygène.


                                                                                                        Abbé Mugnier
                                                                                                 ( extrait de son journal )

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