lundi 2 janvier 2017

Correspondance Proust Gallimard 8 ( Lettres France )



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                                                      A Gaston Gallimard 

                                                                                      Début septembre 1920
            - Lire jusqu'au bout, très important -
            Cher ami
                     ( Et naturellement cela n' a aucun rapport avec ce que je voulais vous dire hier, et vous dirai, je ne sais quand ) vous voyez un homme au désespoir. Hier, en rentrant, je me suis mis à lire Le Côté de Guermantes ; sauf dans certaines parties, les fautes sont tellement nombreuses et rendant les phrases si inintelligibles, que devant mon déshonneur j'ai compris Vatel se perçant de son épée. Je vous avais dit naïvement que pour les fautes grossières le lecteur rétablirait et qu'il valait mieux se borner pour l'erratum aux singularités oubliées qui serviront dans la suite. Mais devant tant de fautes, il vaut mieux les signaler dans un très long erratum ( naturellement il serait mille fois mieux de les corriger dans le texte car personne, à chaque phrase qu'il ne comprendra pas, ne se rapportera toutes les 3 minutes à l'erratum. Mais puisque vous jugez les corrections impossibles, l'erratum, s'il ne servira guère à faciliter la lecture, palliera au moins le déshonneur ). Je crois que mon tort a été de demander moins demander moins d'épreuves que celles auxquelles j'avais droit et de vous dire :         " Lançons-nous comme cela. " - Je vais pourtant recommencer cette tactique en beaucoup plus grand puisque puisque pour Sodome et Gomorrhe 1 je crois que je ne vous demanderai pas d'épreuves du tout, ou seulement des 1res épreuves. Mais c'est que là, ça marche sur des roulettes.
            Pour Guermantes 1 c'est si désastreux que j'ai pensé à vous demander d'attendre février afin que paraissant avec Guermantes 2 er Sodome 1, on fasse moins attention. Mais j'ai songé qu'au fond, on ne fait pas attention. Monsieur ( le charmant dada qui a revu les épreuves et dont le nom m'échappe par une amnésie d'un instant ) Breton a cru lire, Jacques Rivière a cru lire. Ils ne se sont pas aperçus que chaque fois que je parle des romans de Bergotte, on a imprimé les romans de Bergson. Erreur sans gravité quoique inexplicable car les deux tt de Bergotte devraient prémunir contre toute confusion avec Bergson ( mais les protes veulent interpréter, montrer qu'ils sont au courant, que le pragmatisme ne leur est pas inconnu ). Mais si ces Bergson et Bergotte ne sont pas graves, beaucoup d'autres fautes ôtent tout sens à une phrase. Hé bien ces lecteurs avertis ne s'en sont pas aperçus. Comptons sur l'aveuglement des autres. Mais je suis navré. Jamais je n'ai attendu un livre avec tant d'impatience et ne l'ai lu avec tant de désolation.
            Cher ami vous feriez bien de ne pas attendre pour m'envoyer les 2 volumes brochés ( dont une 1ère édition ). Je regrette que l'un n'ait déjà pu partir.                          
Afficher l'image d'origine            Quant à l'erratum ( qui naturellement ne sera pas joint à ces deux exemplaires sacrifiés ), quand faut-il que vous ayez mes feuilles corrigées ? En regardant les corrections, vous ferez dresser vous-même l'erratum, dont je sais mal comment il se rédige ( lire pour... ) Malheureusement jusqu'ici tout ce que j'ai corrigé l'a été dans la désolation, et sans songer que cela servirait à l'erratum. C'est vous dire que c'est fort illisible. Mais je serai à votre disposition s'il y a des choses qui ne vous paraissent pas claires. D'ailleurs elles vous le paraîtront ( claires ), à cause de l'évidence de la faute. Je tâcherai de tout corriger. Avec mes yeux ce n'est pas facile. Mais on me dit que le grand oculiste que je dois consulter depuis 4 ans rentre ces jours-ci. Peut-être me découvrira-t-il de meilleurs verres. Si je vous demande la date où vous avez besoin des corrections, c'est pour ne pas retarder la parution au 1er octobre. Comme on est rentré à Paris plus tôt cette année, à cause du temps, on repartira plus tôt pour les villégiatures d'hiver. - Vous savez que Sodome 1 est presque au net, Guermantes 2 réclament beaucoup d'ajoutages. Que l'imprimeur ne me fasse donc pas attendre trop les épreuves       puisque les deux paraîtront ensemble ( 15 février ). J'aurais préféré que ma préface à Morand ne parût qu'après ce Sodome 1 qui est littérairement rehabilitateur, après nos pataugeages de Guermantes. Mais sans doute le livre de Morand paraît avant. Et je ne veux pas le retarder pour cela. J'ai été bien heureux de votre visite hier. C'est vous qui avez pris bonne mine, bonne allure, et rajeunit ! Cela fait très grand plaisir à votre très affectueusement dévoué


                                                                                             Marcel Proust

On me dit que les manuscrits de Claudel sont encore plus difficiles à lire que les miens. Pourtant il n'y a jamais de fautes.


                                            A Gaston Gallimard

                                                                                              Peu après le 3 septembre 1920          

                                                    Je suis bien pressé des épreuves de Guermantes 2
 artnet.com                                                                 Cher ami
Afficher l'image d'origine            Ne soyez pas ennuyé. Je ne l'ai été moi-même que qq heures et je me suis résigné. Quel malheur qu'il n'existe pas dans les maisons d'édition l'équivalent de ce qu'on nomme dans un journal  " un correcteur ". Quand je collaborais au Figaro, si je faisais une faute, le lendemain dans l'article imprimé, elle avait miraculeusement disparu. Tout cela ne fait rien. Les livres que je vous donnerai
( ? ) si Dieu me prête vie, seront de moins en moins mauvais, et quant aux fautes tant pis. Je suis buté aujourd'hui sur un certain " climat " qui doit être " élément " ou je ne sais pas quoi. Mais j'ai trop mal à la tête. Je remets à demain ou après-demain de chercher sur les épreuves corrigées quel mot on a bien pu traduire par climat . - . Toute la famille Daudet me réclame les bonnes feuilles de Guermantes. Cela aurait grand avantage à être envoyé sans tarder d'autant plus qu'ils sont assez loin de Paris. - . Si vous me trouvez dans ma lettre assez optimiste et consolé, c'est qu'au fond j'avais plus de souci des ennuis que l'article de Rivière pouvait lui attirer, que de mon livre. Or Lucien Daudet m'a écrit la joie qu'il avait eue à voir Rivière traiter ce " vieux veau " de Lasserre ( ceci entre nous, j'entends pas nous, vous, Rivière, Tronche et moi ) et Bainville m'a écrit d'autre part une lettre très gentille. Ma seule crainte, c'est que la liberté qu'il trouve dit-il très juste que Rivière prenne, il ne la reconnaisse aussi à Lasserre de lui répondre. Je tâcherai de le voir pour empêcher cela. Car j'aime tellement Rivière que l'idée d'injures qu'il aurait à cause de moi ( bien que je fusse contre l'article ) m'est insupportable. Si vous m'envoyez des bonnes feuilles aujourd'hui lundi, ne me les apportez pas vous-même car je suis tellement souffrant que je ne pourrais sans doute pas vous voir et cela me désolerait. Voyez comme nous avons traîné avec cette traduction anglaise. Je vous avais, entre autres, proposé Bardac. Vous avez toujours reculé. Bardac a demandé il y a qq jours à Hemant ( Abel ) le droit d'être son traducteur unique pour l'Angleterre et cela lui a été accordé dans les 24 heures. Ne me donnez pas, malgré toute votre gentillesse, le droit de m'appliquer le " Sic vos, non vobis, mellificatis apes " ( note de l'éd. : Ainsi de vos efforts le prix n'est pas payé. ). - . Comme je pense que vous voyez Tronche tous les jours voulez-vous lui dire que mes protégés qu'il a bien voulu recommander pour le concours Devambez ont remis leurs envois il y a qq jours, mais après la date de clôture. Comme on a pris leurs envois, j'espère que cela signifie que ce retard n'empêchera ni qu'ils soient admis au concours, ni qu'ils soient convenablement placés. Après tout, c'est peut-être aussi bien de ne rien dire, car je l'ai déjà assez embêté avec cela qui ne me concerne en rien. Votre affectueusement dévoué


                                                                                          Marcel Proust


                                                      A Gaston Gallimard

                                                                                              Le 8 ou le 9 septembre 1920

            Important à lire jusqu'au bout

           Cher ami
           Je suis de nouveau sorti ce soir et de nouveau rentré plus malade. D'autre part mon découragement a repris plus fort, devant ce monceau de fautes d'impression. Enfin, ne parlons pas de ce à quoi on ne peut plus rien changer.
            Cher ami vous ne m'avez envoyé que des 2è édition de Guermantes. Vous m'en aviez promis une 1re, pour les Daudet. Enfin maintenant c'est envoyé. Je leur ai dit que ce n'était que des bonnes feuilles ( en effet la couverture ne porte même pas mon nom, je pense qu'il n'en sera pas ainsi pour les volumes) et je leur ai promis pour plus tard des 1re édition.,       
Résultat de recherche d'images pour "gromaire"            D'autre part vous aviez eu la gentillesse de noter que la dédicace devait être après Le Côté de Guermantes 1, de façon qu'on vît bien que tout Le Côté de Guermantes était dédié à Léon Daudet sans que je fusse obligé de répéter la dédicace en tête du second volume, ce qui aurait divers inconvénients. Or contrairement à cela on a mis le Côté de Guermantes 1, avant la dédicace.  que c'est une erreur de brochage aisément réparable. Remarquez que quand je dis vous aviez bien voulu prendre en note, il n'est pas certain que ce soit vous, Gaston. C'est peut-être Tronche à qui j'ai donné cette petite corvée. En tous cas je me souviens du crayonnage sur un calepin tiré par l'un de vous, et je crois bien que c'était vous.
            Cher ami ( et croyez bien que devant l'irréparable je ne m'amuserais pas ou plutôt ne me fatiguerais pas à ces récriminations si je ne pensais que le bon renom de vos éditions autant que celui de mes livres n'était en jeu, laissez-moi vous dire au sujet des fautes une chose particulièrement minime ( il s'agit d'une seule lettre ! ) mais significative. Le lecteur peut admettre qu'on lise mal mon écriture, qu'on laisse passer sans en être choqué des phrases informes qu'on suppose alors provenir de l'inintelligence de l'auteur, mais quand il lit " ainsi qu'on a pu le voir dans un article de Times " au lieu d'un article " du Times, il se dit que je peux mal former mes u, qu'ils peuvent ressembler à des e,
mais que le Times est tellement connu que si le livre avait été relu par un correcteur il y aurait du Times et non de Times. Si je vous cite cela, c'est que c'est une faute qui m'est absolument indifférente. Je ne peux pas accuser de prendre mon intérêt en la signalant, elle ne peut pas faire dire que je ne sais pas le français, elle n'obscurcit en rien ma pensée. Si donc je me fatigue ( et je suis bien souffrant ) à m'y arrêter, c'est pour vous montrer que je sais faire attention à ce qui ne me fait pas de tort à moi-même. - . J'ai peur qu'avec ces insistances, je ne vous semble une Mlle Charasson mâle, que vous me preniez en grippe, et me plaquiez. " Quand vous commanderez vous serez obéi
                                                          Vos ordres sans détour pouvaient se faire entendre.
                                                           D'un oeil aussi content, d'un coeur aussi soumis
                                                           Que j'acceptais etc
                                                            Je saurai, s'il le faut, victime obéissante " etc.
                                                                             ( nte de l'éd. Iphigénie Racine)
            Les " etc " sont à cause de la fatigue laquelle ne m'empêchera pourtant pas de vous dire en finissant tout mon plus affectueux dévouement.


                                                                                                 
                                                                                                                  Marcel Proust

              briscadieu-bordeaux.com   
                                                        P.S.
Afficher l'image d'origine             Pendant que nous parlions 1re édition, il est peut-être important de vous prévenir d'avance qu'il m'en faudra un gd nombre pour Guermantes 1. Il me faudra en effet remercier les académiciens Goncourt qui m'ont donné le prix, les académiciens tout court qui ont demandé pour moi la décoration, les gds journalistes étrangers à qui j'aurais dû répondre, des amis comme Mme de Noailles
etc qui n'eurent pas les jeunes filles en fleurs.
            Je voudrais bien savoir quand vous aurez besoin de la préface pour Morand. J'ai besoin pour la commencer, à la fois de ses " nouvelles ", et de savoir le temps que vous me donnez. Je crois qu'elle ne sera pas mal. S'il était à Paris je voudrais bien le voir une fois, avant de commencer.
          

                                                                    A Gaston Gallimard

                                                                                                     21 septembre 1920

            Cher ami
            Je vous avais promis mes corrections pour le 20 et vous ne les recevez qu'aujourd'hui 21. Malgré cela je me considère comme en avance sur le délai fixé par vous car ce que je devais vous donner c'était les corrections à l'aide desquelles vous feriez dresser l'erratum.
            Or j'ai fait ce travail moi-même pour vous éviter tout ennui. C'est l'erratum que je vous envoie ci-joint ( d'où on peut tout au plus ôter les mots " très important " que j'ai mis quelquefois pour signaler qu'un simple tiret avait un grand sens ). J'ai selon votre conseil laissé subsister nombre d'interpolations qui alourdissent ma phrase. Je n'ai signalé que les choses importantes ? Encore ne les ai-je signalées que pour les trois premiers quarts du livre. Pour toute la fin, mes yeux étaient tellement usés par ce travail de couturière qui consiste à remonter ligne par ligne pour voir si c'est la ligne 12 ou la ligne 17, que j'ai jeté le manche après la cognée. Je me suis contenté de certaines choses, sans lesquelles c'est inintelligible. Ainsi ma mère dit " massif de lauriers " sur quoi le médecin fait une loBngue tirade sur le laurier dans l'histoire grecque etc. Or, comme on avait mis massif, au lieu de massif " de lauriers ", tout le discours du médecin perdait sa raison d'être. Mais encore une fois, pour toute cette fin, je n'ai pas été un correcteur. Ma vue avait subi du fait de ce travail une nouvelle de baisse, d'autre part le délai fixé expirait ( je vous écris, tout le travail terminé, dans la nuit du 20 au 21). Je regrette donc tout ce que je n'ai pu relever pour la fin. Je me souviens notamment d'un certain " climat " qui n'a aucun sens, mais je n'ai pas le courage de chercher le mot vrai. Malgré les lacune de mon travail vers la fin, vous verrez que j'ai travaillé. Je vous envoie 23 feuillets d'errata ( qui naturellement, imprimés, feront beaucoup moins ). Seulement prenez au moins garde que pas un seul exemplaire ne soit donné ou vendu sans cet errata. Sans cela ce n'est pas la peine que j'aie passé tant de temps, pris tant de soin. Et j'avais une otite en même temps. Je vous assure que j'aurais préféré faire autre chose. Je sais l'objection qu'on me fera, peu de lecteurs se reporteront à l'erratum. C'est *
Afficher l'image d'originepossible. Du moins ma " négligence " dénoncée par tant de critiques et confirmée ( article sur Lasserre ) par Jacques Rivière, ne pourra plus être mise en avant. Je vous prie instamment quand il y aura un nouveau tirage du Côté de Guermantes ( s'il y en a ) de faire corriger à l'aide de mon Erratum, de façon que les nouveaux tirages n'auront plus besoin d'avoir d'erratum comme le premier. Contrairement à ce que vous m'aviez dit j'ai qq fois signalé une faute peu importante/ Mais vous eussiez été de mon avis, c'était pour masquer la faute grave qui suivait. - . Cher ami, j'aurais tant de choses à vous dire mais pour nous en tenir à l'urgent, j'aurais besoin d'être averti dès que Gide et d'autre part Rivière seront ici. Car Me Blumenthal m'a écrit, le Directeur des Beaux-Arts m'a écrit, et j'attends pour leur répondre de pouvoir continuer le " dossier " de mon candidat au prix ( Jacques  Rivière ) . Par ex. ses évasions etc. Peut-être pour gagner du temps pourriez-vous dire un mot à Paul Valéry en faveur de J. Rivière.
            Mille amitiés de tout coeur

*quizz.biz
                                                                                                 Marcel Proust

   Je me suis trouvé consacrer à l'erratum inattendu le temps que je comptais consacrer à la préface de Morand. Peut-être pourriez-vous le lui dire et que maintenant, je craindrais de le retarder -. J'attends avec impatience les épreuves du Côté de Guermantes 2, dont je n'ai pas reçu une seule. J'espère qu'il n'y a pas eu malentendu et qu'elles ne sont pas restées rue Madame ! Je crois que Léon Daudet publiera son article ( sur Guermantes 1 ) Du moins je lui ai demandé d'attendre jusque-là.       






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