vendredi 14 février 2014

Correspondance Proust Reynaldo Hahn 4 ( Lettres France - sélection - )



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                                               Lettres
                                                                                     Août-Septembre 1896

            Mon cher petit Reynaldo,
            Pardonnez-moi de ne pas vous écrire. Mais je me promène beaucoup et à la suite de ce traitement et de ce rhume pris là je suis si fatigué que je n'ai pas beaucoup le courage d'écrire. Hier j'ai fait la pagination des 90 premières pages de mon roman*. J'ai fait venir de chez mon libraire La Belle Gabrielle **, mais outre l'ennui d'échanger Dumas contre Maquet, j'ai cru voit sans couper les pages que les personnages laissés en plan dans Les 45***, Ernanton de Carminger, Rémy le Hardouin, Diane de Méricor, Henri III n'y figurent pas. Si ce n'est une suite qu'en ce sens que cela vient après dans l'ordre des temps j'aime mieux lire La Reine Margot ( y a-t-il Bussy, St Luc, Chicot etc ) ou des Dumas d'une autre époque ( et ici reconseillez-moi ) ( j'aime mieux ceux où il n'y a pas d'amour, ni de passion sombres, surtout des coups d'épée, de la police à la Chicot, de la royauté, de la bonne humeur et la victoire des Innocents ). J'ai fini La Cousine Bette. Il y a vraiment des choses étonnantes. Mais il y a à la fin du 1er volume du Pt Royal de Ste Beuve, appendice, un éreintement de Balzac, celui de la Cousine Bette, par Ste Beuve, c'est plus amusant que l'article de Lemaître sur Ohnet. J'ai été avt hier au Louvre. Aimez-vous Quentin Matsys l'homme qui a devt lui des pièces d'or, une petite glace bombée qui représente ce qui se présente dans la rue, des perles etc et à côté de lui sa femme ? Et au Jardin des Plantes avec Mme Arman. Mais la ménagerie était fermée. Nous avons pourtant vu les ours. Ces fauves, les lions etc., ce sont vraiment eux " Les rois en exil****". Et leurs jungles etc etc ce sont bien les Paradis Perdus. Tout ce jardin si exotique, et si parisien est d'une tristesse qu'augmentent encore les ravages du dernier ouragan. En revenant nous avons aperçu Mr France qui marchait le long des quais. Nous avons fait arrêter la voiture et Mme Arman lui a dit d'un air de félicitation ironique : " Hé bien, on va seul, comme cela, à ses petites affaires... C'est du joli..." Avant ils s'étaient disputés à propos d'un libraire ou je ne sais quoi. Et Mr France disait : " Non n'est-ce pas Madame vous voulez à la fois n'est-ce pas ne pas payer ce que vous devez, avoir la satisfaction de votre conscience et forcer l'estime de vos amis. Hé bien ( en riant beaucoup ) non, tout de même c'est trop, n'est-ce pas oui, enfin tout de même, vous ne paierez pas, vs aurez même la satisfaction de votre conscience, car elle n'est pas exigeante oh non, mais l'estime de vos amis, non tout de même, ça c'est impossible. " Et Mme Arman avt dit : " Monsieur vous êtes trop désagréable, fichez-moi la paix. " Qd elle a été partie M. France m'a fait son éloge et m'a dit " Elle a tout de même un joli tour d'esprit pour une femme si bonne, car elle est très bonne Mme Arman ". C'est vrai qu'elle est charmante. Mon petit écrivez-moi tt de suite si maintenant que vous réaimez la mer, vous y resterez avec moi non à Villers mais tt près au-delà du 15 etc. Détaillez, aimez-moi. Votre " sur le sable couchées " était aussi un merveilleux trait de style.
            Je vous embrasse.

                                      Marcel.

            Égayez-vous à cette vieille dépêche de Cazalis reçue au Mt Dore pour laquelle ns avons dû payer près de 3 fs et qui a exaspéré chez Maman les instincts, également lésés, de la concision et de l'économie. vous ai-je écrit que dernièrement Coco Madrazo***** rencontré à l'heure du dîner est monté dîner chez moi ? Je crois que oui mais je ne sais plus.


*         Proust Jean Santeuil
**       roman de Maquet
***     roman de Dumas
****   roman d'Alphonse Daudet 
***** futur beau-frère de Reynaldo Hahn
 
                                                                                                                                              Mars 1896
                                                                                               Minuit moins vingt

            Mon petit Reynaldo
            Comme Delafosse avait joué, Mlle Suzette chanté et que j'avais oublié mon cahier chez Mad Lemaire ce qui m'a obligé à revenir je ne suis arrivé chez vous qu'à onze heures. J'ai frappé et même, une seule fois sonné, Je n'ai entendu aucun bruit, vu aucune lumière, on ne m'a pas ouvert et je rentre bien triste. Dormez-vous seulement ? - On vous portera le mot demain matin et on ne me donnera votre réponse qu'à 10 heures, comme cela je serai chez M. Neveu à onze h., à moins que vous ne mettiez sur " sur l'enveloppe " qu'on me la donne avant dix heures, mais à moins que cela ne soit utile, non et alors ne mettez rien sur l'enveloppe ou enfin comme vous voudrez. Dans cette réponse vs me mettez où je dois trouver M. Neveu, si c'est ma carte ou la vôtre que je dois lui fre passer, ce que je dois lui dire, si je dois le remercier, s'il me connaissait etc, etc, etc. J'ai bien peur que cela ne marche pas, mes parents trouveront je le crains que c'est " trop peu de chose ", car j'avais dû y entrer avant ma licence. Sans cela ce serait un rêve. Que vous êtes bon Reynaldo. Maman était émue de votre gentillesse et je vous remercie et vous embrasse de tout mon coeur. Je vous avais apporté des petites choses de moi et le début du roman que Yeatman lui-même près de qui j'écrivais a trouvé très poney*. Vous m'aiderez à corriger ce qui le serait trop. Je veux que vous y soyez tout le temps mais comme un Dieu déguisé  qu'aucun mortel ne reconnaît. Sans cela c'est sur tt le roman que tu serais obligé de mettre" déchire. " Je viens d'avoir le courage de rendre un billet à Delafosse. Je trouve que les 60 ff que cela fait, suffisait, puisque cela se renouvelle tous les ans. Ton ami


                              Marcel.

* premier roman Jean Santeuil


                                                                                             
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            Reynaldo j'ai eu un mouvement de mauvaise humeur ce soir, il ne faut ni vous en étonner ni m'en vouloir. Vous m'avez dit, jamais je ne vous dirai plus rien. Ce serait un parjure si c'était vrai, ne l'étant pas c'est encore pour moi le coup le plus douloureux. Que vous me disiez tout, c'est depuis le 20 juin mon espérance, ma consolation, mon soutien, ma vie. Pour ne pas vous faire de peine je ne vous en parle presque jamais, mais pour ne pas en avoir trop j'y pense presque toujours. Aussi m'avez-vous dit la seule chose qui soit pour moi vraiment " blessante ". J'aimerais mieux mille injures. J'en mérite souvent, plus souvent que vous ne croyez. Si je n'en mérite pas c'est dans les moments d'effort douloureux où en épiant une figure, ou en rapprochant des noms, en reconstituant une scène j'essaie de combler les lacunes d'une vie qui m'est plus chère que tout mais qui sera pour moi la cause d'un trouble le plus triste tant que dans ses parties les plus innocentes elles-mêmes je ne la connaîtrai pas. C'est une tâche impossible hélas et votre bonté se prête à un travail de Danaïde en aidant ma tendresse à verser un peu de ce passé dans ma curiosité. Mais si ma fantaisie est absurde, c'est une fantaisie de malade et qu'à cause de cela il ne faut pas contrarier. On est bien méchant si on menace un malade de l'achever parce que sa manie agace. Vous me pardonnerez ces reproches parce que je ne vous en fais pas souvent et que j'en mérite toujours ce qui consolera votre amour propre. Soyez indulgent pour un poney. Aux qualités que vous exigez d'un poney trouveriez-vous beaucoup de maîtres etc.


                     MP.

                                       
                                                                                                       Été 1896    blingee.com

            Notre amitié n'a plus le droit de rien dire ici, elle n'est pas assez forte pour cela maintenant. Mais son passé me crée le devoir de ne pas vous laisser commettre des actes aussi stupides aussi méchants et aussi lâches sans tâcher de réveiller votre conscience et de vous le faire sinon avouer ( puisque votre orgueil vous le défend ) au moins sentir, ce qui pour votre bien est l'utile. Quand vous m'avez dit que vous restiez à     
souper ce n'est pas la première preuve d'indifférence que vous me donniez. Mais quand deux heures après, après nous être parlé gentiment, après toute la diversion de vos plaisirs musicaux, sans colère, froidement, vous m'avez dit que vous ne reviendriez pas avec moi, c'est la première preuve de méchanceté que vous m'ayez donné ( participe de l'auteur ) . Vous aviez facilement sacrifié, comme bien d'autres fois, le désir de me faire plaisir, à votre désir qui était de rester à souper. Mais vous l'avez sacrifié à votre orgueil qui était de ne pas paraître désirer rester à souper. Et comme c'était un dur sacrifice, et que j'en étais la cause, vous avez voulu chèrement me le faire payer. Je dois dire que vous avez pleinement réussi. Mais vous agissez en tout cela comme un insensé. Vous me disiez ce soir que je me repentirais un jour de ce que je vous avais demandé. Je suis loin de vous dire la même chose. Je ne souhaite pas que vous vous repentiez de rien, parce que je ne souhaite pas que vous ayez de le peine, par moi surtout. Mais si je ne le souhaite pas, j'en suis presque sûr. Malheureux, vous ne comprenez donc pas ces luttes de tous les jours et de tous les soirs où la seule crainte de vous faire de la peine m'arrête. Et vous ne comprenez pas que, malgré moi, quand ce sera l'image d'un Reynaldo qui depuis q.q. temps ne craint plus jamais de me faire de la peine, même le soir, en nous quittant, quand ce sera cette image qui reviendra, je n'aurai plus d'obstacle à opposer à mes désirs et que rien ne pourra plus m'arrêter. Vous ne sentez pas le chemin effrayant que tout cela a fait depuis q.q. temps que je sens combien je suis devenu peu pour vous, non par vengeance, ou rancune, vous pensez que non, n'est-ce pas, et je n'ai pas besoin de vous le dire, mais inconsciemment parce que ma gde raison d'agir disparaît peu à peu. Tout aux remords de tant de mauvaises pensées, de tant de mauvais et lâches projets je serai bien loin de dire que je vaux mieux que vous. Mais au moins au moment même qd je n'étais pas loin de vous et sous l'empire d'une suggestion quelconque je n'ai jamais hésité entre ce qui pouvait vous faire de la peine et le contraire. Et si q.q. chose m'en faisait et était pour vous un plaisir sérieux comme Reviers, je n'ai jamais hésité. Pour le reste je ne regrette rien de ce que j'ai fait. J'en arrive à souhaiter que le désir de me faire plaisir ne fut pour rien, fut nul en vous. Sans cela pour que de pareilles misères auxquelles vous êtes plus attaché que vous ne croyez aient pu si souvent l'emporter il faudrait qu'elles aient sur vous un empire que je ne crois pas. Tout cela ne serait que faiblesse, orgueil, et pose pour la force. Aussi je ne crois pas tout cela, je crois seulement que de même que je vous aime beaucoup moins, vous ne m'aimez plus du tout, et de cela mon cher petit Reynaldo je ne peux pas vous en vouloir.                            
            Et cela ne change rien pour le moment et ne m'empêche pas de vous dire que je vous aime bien tout de même. Votre petit Marcel étonné malgré tout de voir à ce point
            Que peu de temps suffit à changer toutes choses *
et que cela ira de plus en plus vite. Réfléchissez sur tout cela mon petit Blaise** et si cela nourrit votre pensée de poète et votre génie de musicien, j'aurai du moins la douceur de penser que je ne vous ai pas été inutile.                                                                                                         bit.ly
            Votre petit poney qui après cette ruade rentre tristement tout seul dans l'écurie dont vous aimiez jadis à vous dire le maître.


                              Marcel.  

*   Victor Hugo Tristesse d'Olympio
** Ctsse de Ségur Pauvre Blaise   



                                                                                                             Sans date

  junkthief.blogspot 
                                                    Mon cher petit Puncht

            J'avais craint que vous n'ayez trouvé ma despêche méchante, n'y ayant pas répondu. Vous allez me trouver bien bon de trouver que vous ne me répondez pas ! si vous êtes à Dieppe, vous pourriez revenir par Trouville, ou me donner rendez-vous à un endroit entre Dieppe et Trouville. Mais plus probablement n'est-ce pas nous ne nous reverrons qu'à Paris ou du moins aux lieux où vous passerez l'automne et où je viendrai aussi souvent que me le permettront les nécessités qui gouvernent ma vie, parmi lesquelles je vous compte comme la plus favorable, dans le sens violent mélancolique et doux où elle s'exerce toujours, ( avec une douceur de caresse et un gémissement de plainte qui la fait ressembler au vent d'ouest ). J'ai trouvé admirable votre rapprochement des grands officiers mélancoliques et d'un coeur si noble avec Picquart*. Quand je désespère de ne plus trouver un livre qui m'élève et qui m'enseigne je reçois une telle lettre et je me retrouve avec quelque confiance dans la nature humaine et quelque allégresse dans la vie. Mon cher petit vous auriez bien tort de croire que mon silence est celui qui prépare l'oubli. C'est celui qui comme une cendre fidèle couve la tendresse intacte et ardente. Mon affection pour vous demeure ainsi et s'avive sans cesse et je vois mieux que c'est une étoile fixe en la voyant à la même place quand tant de feux ont passé. Je ne dis pas comme dans Vigny et ceux qui passeront, car il n'y en a pas d'allumé. En est-il de même pour vous ? A propos de Vigny je retiens pour vous ce qu'il dit dans une lettre de ce Moïse que vous aimez. J'ai été bien égayé quand vous m'avez écrit que Mme Lemaire s'imagine que j'ai " fait venir " Bréville* à Dieppe le jour où j'y suis venu. Comment une femme si fine peut-elle concevoir quelque chose de si baroque... J'ai su que vous avez écrit une lettre à Reinach* qu'il a déclarée écrite dans le plus admirable langage qu'il ait jamais lu. Il s'inquiétait alors, m'a dit Straus, de savoir votre adresse, mais comme il y a longtemps il a dû vous écrire. Au revoir cher âtre puisque c'est ainsi que vous appelait Mallarmé, ce qui comme dirait Yturri* est une consécration. Je vous dirai retournant les beaux vers de Baudelaire que rien aujourd'hui ni le boudoir, ni le soleil rayonnant sur la mer ne me vaut l'âtre.
            A Bientôt


                                   Marcel.

*       Voir l'affaire Dreyfus 
**      musicien                                                                                                                           
***   journaliste politique
**** compagnon de Montesquiou
                                                                                                                                      

mercredi 5 février 2014

Le ciel volé Dossier Renoir Andrea Camilleri ( roman policier Italie )



                                                                       
                                                                 Le ciel volé
                                                                          Dossier Renoir

            Le 23 décembre 1999 Michele Riotta répond à Alma Corradi, lectrice inconnue d'un petit ouvrage qu'il a écrit de nombreuses années auparavant sur le possible passage de Renoir à Girgenti, aujourd'hui Agrigente. Le peintre a-t-il travaillé sur des fresques très abîmées dans une église de Capistrano ? Le vieux notaire, sérieux, veuf, piégé par les compliments de la femme aux adresses multiples et par une photo d'elle assez suggestive semble-t-il poursuit une correspondance, exprime des doutes sur cette visite de Renoir avec sa femme Aline. Le livre de son fils Jean Renoir, les lettres échangées avec son marchand Durand-Ruel, les dates des différents voyages en Italie, en Algérie réfutent l'idée d'un séjour prolongé du couple en Sicile en 1882. Mais la femme visiblement habile, trouble le vieux monsieur qui a 70 ans se laisse emporter par la romance. L'auteur des Montalbano n'abandonne pas l'intrigue policière dans ce très court ouvrage et pimente l'histoire de quelques tableaux cachés peut-être, "... à mon avis, ces fresques ne présentent aucune valeur intrinsèque, mais elles méritent l'attention à titre de curiosité ou d'objet touristique... " Plus tard l'aventure continuant Riotta-Camilleri parle de l'île le 10 février 2000 "... combien la saison ici est douce avec les amandiers en fleurs qui constellent de blanc la vallée des Temples... " La correspondance s'achève sur une lettre du 10 juillet 2000. 9 reproductions de merveilleux tableaux de Renoir dont un fac-similé d'une lettre, séparent le livre de la 2è partie, une courte enquête. L'histoire est ténue mais jolie et attachante.


dimanche 2 février 2014

Le Gora Georges Courteline ( nouvelle France )




Fragonard le chat angora
                                                       Le Gora

                                  Bobéchotte   Gustave dit Trognon

            Bobéchotte - Trognon, je vais bien t'épater. Oui, je vais t'en boucher une surface. Sais-tu qui est-ce qui m'a fait un cadeau ? La concierge.
            Gustave - Peste ! Tu as de belles relations ! Tu ne m'avais jamais dit ça !
            Bobéchotte - Ne chine pas la concierge, Trognon, c'est une femme tout ce qu'il y a de bath. A preuve qu'elle m'a donné... devine quoi ?... Un gora !
            Gustave - La concierge t'a donné un gora ?
            Bobéchotte - Oui mon vieux !
            Gustave - Et qu'est- ce que c'est que ça, un gora ?
            Bobéchotte - Tu ne sais pas ce que c'est qu'un gora ?
            Gustave - Ma foi, non.
            Bobéchotte égayée - Mon pauvre Trognon, je te savais un peu poire, mais à ce point-là... je n'aurais pas cru ! Alors, non, tu ne sais pas qu'un gora... c'est un chat !
            Gustave - Ah !... Un angora, tu veux dire !
            Bobéchotte - Comment ?
            Gustave - Tu dis : un gora.
            Bobéchotte - Naturellement je dis un gora !
            Gustave - Eh bien, on ne dit pas : un gora !
            Bobéchotte - On ne dit pas : un gora ?
            Gustave - Non.
            Bobéchotte - Qu'est-ce qu'on dit, alors ?
            Gustave - On dit : un angora.
            Bobéchotte - Depuis quand ?
            Gustave - Depuis toujours.
            Bobéchotte - Tu crois ?                                                      
            Gustave - J'en suis même certain.
            Bobéchotte - J'avoue que tu m'étonnes un peu. La concierge dit, un gora. Et si elle dit, un gora, c'est qu'on doit dire, un gora. Tu n'as pas besoin de rigoler, je la connais mieux que toi, peut-être. Et c'est encore pas toi, avec tes airs malins, qui lui feras le poil pour l'instruction.
            Gustave - Elle est si instruite que ça ?                                      Dali
            Bobéchotte avec une grande simplicité - Tout ce qui se passe dans la maison c'est par elle que je l'ai appris.
            Gustave - C'est une raison, je le reconnais. Mais ça ne change rien à l'affaire et, pour ce qui est de dire : un angora, soit sûre qu'on dit : un angora.
            Bobéchotte - Je dirai ce que tu voudras Trognon. Ça m'est bien égal, après tout, et si nous n'avons jamais d'autre motif de dispute...
           Gustave - C'est évident.
           Bobéchotte - N'est-ce pas ?
           Gustave - Sans doute.
           Bobéchotte - Le tout c'est qu'il soit joli, hein ?
           Gustave - Qui ?
           Bobéchotte - Le petit nangora que m'a donné la concierge ! Et à cet égard-là, il n'y a pas mieux. Un vrai amour de petit nangora. Figure-toi, pas plus gros que mon poing, avec des souliers blancs, des yeux comme des cerises à l'eau-de-vie, et un bout de queue pointu, comme l'éteignoir de ma grand-mère... Mon Dieu, quel beau petit nangora !
            Gustave - Je vois, au portrait que tu m'en traces, qu'il doit être en effet très bien. Une simple observation, mon loup : on ne dit pas un petit nangora.
            Bobéchotte - Tiens ! Pourquoi donc ?
            Gustave - Parce que c'est du français de cuisine.
            Bobéchotte - Eh ben ! Elle est bonne celle-là ! Je dis comme tu m'as dit de dire !
            Gustave - Oh ! Mais pas du tout ! Je proteste ! Je t'ai dit de dire un angora, mais pas : un petit nangora (  Bobéchotte muette d'étonnement ). C'est que, dans le premier cas, l'a du mot angora est précédé de la lettre n, tandis que c'est la lettre t qui termine le mot petit.
            Bobéchotte - Ah !                                                                           Leonor Fini
            Gustave - Oui.            
            Bobéchotte hausse les épaules - En voilà des histoires ! Qu'est-ce que je dois dire avec tout ça ?
            Gustave - Tu dois dire : un petit angora !
            Bobéchotte - C'est bien sûr, au moins ?
            Gustave - N'en doute pas.
            Bobéchotte - Il n'y a pas d'erreur ?
            Gustave - Sois tranquille.
            Bobéchotte - Je tiens à être fixée, tu comprends.
            Gustave - Tu l'es, comme avec une vis.
            Bobéchotte - N'en parlons plus. Maintenant je voudrais ton avis. Je voudrais l'appeler ; Zigoto.
            Gustave - Excellente idée !
            Bobéchotte - Il me semble.
            Gustave - Je trouve ça épatant !
            Bobéchotte - N'est-ce pas ?
            Gustave - C'est simple.
            Bobéchotte - Gai.
            Gustave - Sans prétention.
            Bobéchotte - C'est facile à se rappeler.
            Gustave - Ça fait rire le monde.
            Bobéchotte - Et ça dit bien ce que ça veut dire. Oui, je crois que pour un tangora le nom n'est pas trop mal trouvé ( elle rit ).
            Gustave - Pour un quoi ?
            Bobéchotte - Pour un tangora...
            Gustave - Ce n'est pas pour te dire des choses désagréables mais, ma pauvre cocotte en sucre, j'ai de la peine à me faire comprendre. Fais donc attention, sapristoche ! On ne dit pas un tangora !
            Bobéchotte - Ça va durer longtemps cette plaisanterie-là ?
            Gustave interloqué - Permets...
            Bobéchotte - Je n'aime pas beaucoup qu'on s'offre ma physionomie. Et si tu es venu dans le but de te payer mon 24/30 il vaudrait mieux le dire tout de suite.
            Gustave - Tu t'emballes !... Tu as bien tort ! Je dis : " On dit un angora, un petit angora ou un gros angora ", il n'y a pas de quoi fouetter un chien, et tu ne vas pas te fâcher pour une question de liaison...
           Bobéchotte - Liaison !... Une liaison comme la nôtre vaut mieux que bien des ménages, d'abord, et puis, si ça ne te suffit pas, épouse-moi ! Est-ce que je t'en empêche ? Malappris ! Grossier personnage !
           Gustave - Moi ?
           Bobéchotte - D'ailleurs tout ça c'est de ma faute et je n'ai que ce que je mérite. Si au lieu de me conduire gentiment avec toi je m'étais payé ton 24/30 comme les neuf dixièmes des grenouilles que tu as gratifiées de tes faveurs tu te garderais bien de te payer le mien aujourd'hui. C'est toujours le même raisonnement : " Je ne te crains pas, je t'enquiquine ! " Quelle dégoûtation, bon Dieu ! Heureusement il est encore temps...

 crates11.blogspot.com  leonor fini    
                                                 Gustave inquiet - Hein ? Comment ? Qu'est-ce que tu dis ? Il est encore temps ? !... Temps de quoi ?
            Bobéchotte - Je me comprends. C'est le principal. Vois-tu c'est toujours imprudent de jouer au plus fin avec une femme. De plus malins que toi y ont trouvé leur maître. Parfaitement ! A bon entendeur... Je t'en flanquerai moi, du zangora !


                                                                                            Georges Courteline
      /        

samedi 1 février 2014

Le père de famille Anton Tchekhov ( nouvelle Russie )

  
   Daumier

                                                    Le père de famille

            Cela arrive d'ordinaire après une belle culotte ou une belle cuite, quand commencent les crampes d'estomac. Stepane Jiline se réveille d'humeur extraordinairement sombre. Il fait grise mine, l'air défait, les cheveux en bataille ;  son visage blafard exprime le mécontentement  on ne sait s' il est vexé ou dégoûté. Il s' habille lentement, boit lentement son eau de Vichy et commence à arpenter l'appartement.
            - Je voudrais bien savoir quel est l'animal qui passe par ici sans fermer les portes, grogne-t-il furieux en se drapant dans sa robe de chambre et en se raclant bruyamment la gorge. Ramassez ce papier ! Pourquoi traîne-t-il ici ? Nous avons vingt domestiques et il y a moins d'ordre ici que dans une taverne. Qui est-ce qui a sonné ?  Qui est-ce qui vient nous embêter ?
            - C'est la mère Amphissa, celle qui a mis au monde notre petit Fedia,  répond sa femme.
            - Ce qu'il y a ici...comme pique-assiette !
            - Je n'arrive pas à te comprendre, Stepane. C'est toi qui l'a invitée et maintenant tu nous grondes.
            - Je ne vous gronde pas, je parle. Tu ferais mieux de t'occuper,  ma petite, au lieu de rester là bras croisés et de me chercher noise ! Je n'arrive pas à les comprendre ces femmes-là, parole d'honneur ! Je-n-les-comprends pas ! Comment peuvent-elles passer des journées entières à ne rien faire?  Le mari travaille, peine comme un boeuf, comme une bête, et sa femme,  la compagne de sa vie, reste là, comme une poupée, à ne rien faire et à attendre l'occasion de se disputer avec lui pour tromper son ennui. Il est temps, ma petite d'en finir avec ses habitudes de pensionnaire!  Tu n'es plus une pensionnaire, une demoiselle, mais une mère de famille, une épouse ! Tu tournes la tête?  Ah! Ah ! C'est désagréable de s'entendre dire ses quatre vérités!
            - C'est étrange que tu ne dises ces vérités que quand tu as mal au foie.
            - Allez, ça commence, ça commence...
            - Tu es allé faire la noce hier soir ?  Ou bien tu es allé jouer ?
            - Et quand cela serait ? Ça te regarde ? Est ce que je suis obligé de rendre des comptes ? Il n'est pas à moi l'argent que je perds ? Ce que je dépense et ce qui se dépense dans cette maison, ça c'est à moi, vous entendez ? À moi !
            Et ainsi de suite, dans le même goût. Mais à aucun moment il ne se montre aussi sensé, aussi vertueux, aussi rigide, aussi équitable qu'au moment du déjeuner, lorsqu'il se trouve entouré de toute sa maisonnée. Cela commence d'ordinaire dès la soupe. Il en avale une cuillerée, fronce brusquement les sourcils et s'arrete de manger.
            - Bon Dieu qu'est-ce que c'est.., grommelle-t-il. Je finirai par aller manger au restaurant.
            - Qu'y a-t-il ? S' inquiete sa femme. Elle n'est pas bonne ?      
            - Il faudrait avoir je ne sais quel palais de goret pour avaler un brouet pareil ! C'est trop salé, ça pue les guenilles. ..C'est tout simplement répugnant, fait-il en s'adressant à son invitée, la vieille Amphissa. Je donne chaque jour des liasses de billets pour le marché. .. Je me prive de tout, et voilà ce qu'on me sert ! On veut sans doute que je quitte mon emploi pour aller faire la cuisine moi-même !      
            - Elle est bonne la soupe aujourd'hui, remarque timidement la gouvernante.  
            - Bonne ? Vous trouvez, dit Jiline qui la regarde avec colère. D'ailleurs, chacun son goût. Il faut avouer mademoiselle Varvara, que d'une façon générale nous n'avons pas du tout les mêmes goûts, vous et moi. Ainsi la conduite de ce gamin ( il désigne son fils Fedia d'un geste théâtral ) vous plaît, vous en êtes ravie, et moi... révolté.  Oui, mademoiselle !
            Fedia, enfant de sept ans à la figure pâle et maladive, cesse de manger et baisse les yeux, pâlit davantage encore.
            - Oui mademoiselle vous en êtes ravie et moi... révolté.  Qui de nous deux a raison je ne sais, mais j'ose penser que moi son père je connais mieux mon fils que vous. Voyez comme il est assis ! C'est comme ça que se tient un enfant bien élevé ? Assieds-toi comme il faut !                                                                                                                    lacuisinerusse.com
            Fedia lève le menton et tend le cou, il lui semble qu'il se tient plus droit. Les larmes lui montent aux yeux.
            - Mange ! Tiens ta cuillère comme il faut ! Attends un peu tu vas avoir de mes nouvelles, sale gamin.  Ne pleure pas, regarde-moi dans les yeux.
            Fedia essaie de le regarder dans les yeux, mais son visage frémit et ses yeux se remplissent de larmes.
            - Ah!... tu pleures ? Tu es en faute et par-dessus le marché tu pleures ! Au coin sale bête !
            - Mais... Laisse-le d'abord manger ! intervient sa femme.
            - Sans manger ! De pareils sal... de pareils garnements n'ont pas le droit de manger !
            Fédia, la figure crispée, le corps secoué de mouvements convulsifs, glisse de sa chaise et va au coin.
            - Et ce n'est pas fini ! continue le père. Si personne ne veut s'occuper de ton éducation, soit, je vais m'en occuper... Avec moi mon petit finies les espiègleries, fini de pleurer à table ! Butor ! Il faut travailler ! Tu comprends ? Travailler ! Ton père travaille, eh bien, travaille aussi ! Personne ne doit manger le pain qu'il n'a pas gagné ! Il faut être un homme ! Un Hom-me !
            - Arrête-toi, au nom du ciel ! implore sa femme en français. Cesse de nous harceler, au moins devant des tiers... La vieille entend tout et grâce à elle toute la ville va savoir...
            - Je n'ai pas peur des tiers, répond-il en russe. Amphissa voit bien que j'ai raison. Alors, d'après toi je devrais être content de ce gamin ? Tu sais combien il me coûte ? Tu le sais combien tu me coùtes, sale gamin ? Tu crois peut-être que je le fabrique l'argent, qu'on me le donne gratis ? Finis de bramer ! Tais-toi ! Tu entends, oui ou non ? Tu veux que je te fouette, espèce de gredin ?
            Fédia pousse un hurlement et éclate en sanglots.
            - C'est intolérable, à la fin, dit la mère qui se lève et jette sa serviette. Il ne nous laisse jamais manger tranquilles ! Voilà où il est resté le morceau de pain que tu me donnes !
            Elle désigne sa nuque puis porte son mouchoir à ses yeux et quitte la salle à manger.
            - Madame est vexée..., grogne Jiline avec un sourire contraint. On a été élevée dans du coton... Et alors, Amphissa, on aime pas s'entendre dire la vérité aujourd'hui... Et c'est ma faute, par-dessus le marché !
            Quelques minutes s'écoulent en silence. Jiline promène son regard sur les assiettes et, voyant que personne n'a encore touché à sa soupe, il pousse un profond soupir et regarde fixement la gouvernante dont le visage empourpré exprime l'inquiétude.
            - Pourquoi ne mangez-vous pas, mademoiselle ? lui demande-t-il. Je vous ai mortifiée, peut-être ? Ouais... on n'aime guère la vérité. Excusez-moi, je suis comme ça, je ne sais pas dissimuler... Je ne mâche pas mes mots ( il soupire ). Je vois pourtant que ma présence ici n'est agréable à personne. Devant moi on ne peut ni parler, ni manger... Eh bien, il n'y avait qu'à me le dire, je m'en serait allé... Je m'en vais.
            Il se lève et se dirige vers la porte avec dignité, passant à côté de Fédia qui pleure toujours, il s'arrête.
            - Après ce qui s'est passé ici vous êtes libre, lui dit-il rejetant la tête avec dignité. Je ne me mêle plus de votre éducation. Je m'en lave les mains ! Je vous pris de m'excuser si, avec la sincérité d'un père qui veut votre bien je vous ai importuné, vous et vos éducatrices. Par la même occasion, et une fois pour toutes, je décline toute responsabilité en ce qui concerne votre sort...
            Fédia hurle et sanglote encore plus fort. Jiline se retourne avec dignité vers la porte et gagne sa chambre.
            Après la sieste il commence à ressentir des remords. Il pense à sa femme, à son fils, à Amphissa, et il a honte. Il éprouve même un malaise insupportable au souvenir de ce qui s'est passé à table. Mais, son amour-propre est trop grand, il n'a pas le courage d'être sincère, et il continue à bouder et à bougonner...
            Au réveil, le lendemain matin, il se sent d'excellente humeur et sifflote gaiement en faisant sa toilette.Entrant dans la salle à manger où il
prend son café, il trouve Fédia qui se lève, éperdu, à la vue de son père.
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           - Alors jeune homme, lui demande-t-il allègrement en se mettant à table, quoi de neuf ? Ca va jeune homme ? Allons mon gros, viens embrasser ton père ...
           Fédia, pâle, l'air grave, s'approche, effleure ses joues d'une lèvre tremblante, puis s'éloigne et s'assied à sa place, sans avoir dit mot.



                                                                                                Anton Tchékhonté
                                                                                                 (Anton Tchékhov )
                                                                                ( parue en 1885 sous le titre : Les Boucs émissaires )

   

            

vendredi 31 janvier 2014

Reflex Maud Mayeras ( roman policier France )



                                               Reflex


            Qui de Diane et d'Iris hait le plus l'autre ? La mère la fille, l'inverse ? Une histoire sans tendresse, malgré l'amour du père amoureux des fleurs de son jardin, semble-t-il à la lecture de ce fort volume. Ce jour-là Iris retrouve la maison de son enfance et plus même. Six ans plus tôt elle a fui après la disparition de son enfant. Sa mère seule reconnut, dit-elle, malgré les dommages subis son petit fils. Iris photographe entrée dans la police saisit le maximum de détails sur les scènes de crimes, de suicide, de mort suspecte. Ce jour-là pourtant son lieutenant ne voulait pas d'elle sur la scène du nouveau drame. Disparition d'un nouvel enfant, découverte de corps, comme les précédents dépouillé d'un morceau de peau long, fin. D'un chapitre l'autre zoom arrière, et l'auteur nous apprend très vite qui est criminel. " Fantasmer sur sa propre mère, c'est une chose.... " L'enfant trop aimé d'une mère repoussée pour faute inavouable à 12 ans, quel être étrange se cachera derrière l'adulte adorateur des reliques de sa mère, un enfant fragile malmené, ses os friables si souvent cassés, la mère l'aimait-elle vraiment ? Le journaliste n'ignore rien, enquêteur têtu il a, silencieux jusqu'aux dernières pages poussé ses pions. Il y a donc Henry mais aussi Jackie. Dès le début le lecteur sent monter l'adrénaline, tourner les pages du roman, des chapitres courts, scènes et personnages très dépeints. Une fin inattendue, après des dizaines d'assassinats. Un policier réussi.


mercredi 29 janvier 2014

Correspondance Proust Reynaldo Hahn 3 ( lettres France - sélection - )













iha.fr
                                                   Lettre 
                                                                           
                                                 Établissement Thermal et Casino
                                      Mont-Dore ( Puy-de-Dôme )
                                                                                                             Août 1896

            Mon cher petit Reynaldo
            Si je ne vous télégraphie c'est pour éviter si vous êtes parti qu'on ne décachette ma dépêche. Et pourtant je voudrais bien que vous le sachiez tout de suite. Pardonnez-moi si vous m'en voulez, moi je ne vous en veux pas. Pardonnez-moi si je vous fais de la peine, et à l'avenir ne me dites plus rien puisque cela vous agite. Jamais vous ne trouverez un confesseur plus tendre, plus compréhensif ( hélas ! ) et moins humiliant, puisque, si vous ne lui aviez demandé le silence comme il vous a demandé l'aveu, ce serait plutôt votre coeur le confessionnal et lui le pêcheur, tant il est aussi faible, plus faible que vous. N'importe et pardon d'avoir ajouté par égoïsme comme vous dites aux douleurs de la vie. Et comment cela ne serait-il pas arrivé ? Il serait peut-être grand, il ne serait pas naturel de vivre à notre âge comme Tolstoï le demande. Mais de la substitution qu'il faudrait faire ici, du petit détour pour rentrer enfin dans la vie, je ne puis vous parler, car je sais que vous ne l'aimez pas et que mes paroles seraient mal écoutées. Ne craignez nullement de m'avoir fait de la peine. D'abord ce serait trop naturel. A tous moments de notre vie nous sommes les descendants de nous-mêmes et l'atavisme qui pèse sur nous c'est notre passé, conservé par l'habitude. Aussi la récolte n'est pas tout à fait heureuse quand les semailles n'ont pas été tt à ft pures de mauvais grains. " Le raisin que nos pères mangeaient était vert et nos dents en sont agacées " dit l'Ecriture. Mais d'ailleurs je ne suis nullement agité. Ou plutôt je me trompe. Je suis un peu agité de ce qui arrivera à Chicot et je voudrais que s'il doit mourir, le roi sût au moins tout ce qu'il a fait pour lui *. Si j'avais des peines, elles seraient effacées par le plaisir qu'a pour le moment Bussy. Et plaisirs ou peines ne me paraîtraient pas beaucoup plus réels que celles du livre, dont je prends mon parti. Je n'ai donc nul trouble, une extrême tendresse pour mon chéri seulement à qui je pense comme je disais quand j'étais petit de ma bonne, pas seulement de tout mon coeur, mais de tout moi. La gentille Mlle Suzette m'a écrit l'autre jour une charmante lettre et comme on dit d'un grand intérêt. Mais comme elle aime à être plainte. Elle vous disait qu'elle ne vous avait pas laissé voir son chagrin, mais elle m'écrit qu'elle vous dissimule sa détresse. Il y a trop d'artifice dans tout cela. On voudrait qu'elle relise La mort du loup de Vigny
                                                  Prier, crier, gémir est également lâche        
                                                     ... Souffre et meurs sans parler
            ( Ce n'est pas très exactement cité ). Je reconnais que c'est d'une sagesse stoïque qui n'est pas très bonne au fond pour personne mais surtout qu'on ne peut exiger d'une jeune fille, excepté dans Corneille. Mais vraiment que dites-vous de ce truc de vous dire qu'elle me cache son chagrin et vice-versa. Elle me fait l'effet d'une personne qui tournerait le dos pour qu'on ne voit pas qu'elle pleure, mais après qu'elle se serait assurée qu'on l'apercevra dans la glace. Calcul habile qui fait qu'elle sera à la fois plainte pour sa douleur, et admirée pour son héroïsme. Elle n'a pas l'âme si vilaine et tout cela est sans doute sans grand calcul, et j'espère, naturel. Mais il faut avouer que chez elle le naturel est parfois bien affecté. Tout cela revient aux scènes de théâtre :
            " Qu'avez-vous, ma mère ? - Moi, rien, un instant de faiblesse... la trop grande chaleur... ces roses, mais mon fils vous voyez bien que je ne me suis jamais si bien portée, que je n'ai rien, rien, rien
et elle tombe morte, au moins... ou
            que je je n'ai jamais été si gaie d'une gaîté, d'une gaîté "
et elle fond en sanglots. Gardons-nous mon chéri de ne plaindre la douleur que sous les formes qui nous sont le plus sympathiques et qui nous gênent d'ailleurs le moins, mais n'imitons jamais l'appareil théâtral ou les démonstrations artificielles de peines souvent imaginaires. Je ne vous ai pas télégraphié que je revenais demain de peur de vous empêcher d'aller à Villers. J'ai d'autant mieux fait que je vais peut-être persister malgré le découragement de Maman qui veut absolument me ramener. Nous accusions à tort ce traitement. La cause est que partout ici on fait les foins. Vous connaissez trop la Sévigné pour ne pas savoir ce que c'est que le fanage. C'est une jolie chose mais qui me fait mal. Il y avait ici Mme Conneau avec qui j'ai été invité à dîner chez un Dr Shlemmer à qui Hillemacher a dédié une mélodie et qui a appris l'harmonie. Je me méfie mais il est bien intelligent. Ce n'est pas lui qui me soigne. Je suis au milieu du second volume de la Dame de Montsoreau et j'avance, mais plus lentement, dans les Confessions de Rousseau. Aujourd'hui je suis tout musique, et j'aimerais vous entendre me chanter
                                                              Des Saints l'invisible main,
et bien d'autres choses.
            Vous avez dû recevoir 3 Plaisirs et les Jours, un pour vous ( qui n'est pas un cadeau ) j'ai dit à Calmann de vous l'envoyer à ses frais, un pour votre soeur Elisa, et un pour votre cousine. J'ai travaillé un petit peu ces jours-ci. Je n'ai rien décidé pour mes 28 jours. Dîtes-moi dans votre prochaine lettre si, d'après ce que je vous ai dit, vous acceptez ou non d'être délié des petits serments, et si en septembre vous iriez volontiers en Suisse ou ailleurs. Sans cela même sans 28 jours j'irai peut-être passer à Versailles le mois de septembre, pas à cause de vous, de sorte que cela ne vous lie en rien. Que de pages ! et je ne vous ai pas encore parler du petit Baudelaire. Ce sera pour la prochaine fois. Et avez-vous reçu l'appendice de Mme de Sévigné avec les fac-similé ?
 
krapooarboricole.wordpress.com      Je vous embrasse tendrement et vos soeurs, sauf celle dont le mari est jaloux. Moi qui ne le suis plus, mais qui l'ai été je respecte les jaloux et je ne veux pas leur causer l'ombre d'un ennui, ou leur faire le soupçon d'un secret.

                                                                        Marcel

* Dumas La Dame de Montsoreau



                                                                                                                                                             pileface.com                                                                                                                                        Août 1896

            Mon cher petit,
            Je suis revenu parce que j'étais malade, seulement je ne vous l'ai pas écrit pour ne pas vous agiter. J'ai simplement eu un gros rhume mais avec fièvre etc et je suis resté encore hier couché jusqu'à 4 h. Aujourd'hui je vais bien et je veux tout de suite vous remercier de votre lettre. Je ne sais pas pourquoi vous dites qu'elle n'est pas bien. Elle m'a fait bien plaisir à lire. La mienne a été bien mal comprise. Je ne sais pas ce qui a pu vous fre croire que je mettais en doute la sincérité de votre ton. Oh mon cher petit je frémis à la pensée que vous ayez pu le croire. Sachez que pour moi, cette tristesse de vous, ce n'est pas seulement la sombre beauté de votre caractère, c'est l'étiage de votre profondeur non seulement morale mais encore intellectuelle, le génie ( je le prends dans le sens ancien de sorte que pour une fois votre modestie n'a pas à se montrer, car elle se montrerait mal instruite ) de votre musique, le lest de plaisir qu'il faut jeter pour s'élever à une grande hauteur. C'est le degré où vous êtes monté et d'où vous redescendrez infailliblement si vous y renoncez, comme ces gens qui eussent pu être de grands hommes si ... " Tu Marcellus eris " mais au contraire que vous dépasserez si ( mots barrés )... du noble repentir d'une vie imparfaite vous vous élevez à la sereine, non ce n'est pas à moi à dire ces choses-là                
            Vous me dîtes, avec cette élégance rapide que j'admire dans vos lettres à l'égard des " traits " les plus " frappants " du 17è siècle : - Dîtes-moi ce que j'en pense - Voilà qui est bien au-dessus des vers de Mallarmé ( et ce que je dis est moins bête que ce n'en a l'air car c'est du même temps ) ce ne serait pas assez de vous dire comme le Chevier de Méré *  : " Vous m'écrivez de temps en temps de ces lettres qu'on lit agréablement et surtout quand on a le goût bon ; mais elles coûtent toujours beaucoup et je ne crois pas qu'on en puisse faire plus de deux en un jour. Balzac** me dit une fois qu'avant que d'être content d'un certain billet au Maire d'Angoulême il y avait passé plus de quatre matinées. Je ne trouve pourtant rien dans ce billet ni de beau ni de rare etc etc etc. " Pour                                                                                                                  
Mallarmé, s'il est toujours pédant d'expliquer un charme et surtout poétique cette prétention deviendrait ridicule appliquée à un quatrain tt de circonstance, et à une de ces poésies qu'on nomme fugitives, sans doute pour marquer qu'elles fuient en quelque sorte l'esprit assez audacieux pour essayer de les retenir et de les analyser. Pourtant puisque cela amuse mon petit Kunst de me voir patauger et puisque il s'intéresse à tout ce qui vient de Mallarmé, je lui dirai, de ce poète en général, que ces images obscures et brillantes sont sans doute encore les images des choses, puisque nous ne saurions rien imaginer d'autre, mais reflétées pour ainsi dire dans le miroir sombre et poli du marbre noir.. Ainsi dans un grand enterrement par un beau jour les fleurs et le soleil brillent à l'envers et en noir au miroitement du noir. C'est pourtant toujours le " même " printemps qui " s'allume " mais c'est un printemps dans un catafalque
- Pour la petite pièce en particulier que je prie Jean d'aller chercher dans sa retraite et de mettre dans cette lettre après l'avoir fait recommander, son charme me semble consister comme pour beaucoup de choses de Mallarmé, en ceci : passer, sous couleur d'archaïsme ( et comme de Malherbe et de Voiture, ou plutôt de Malherbe à Desportes ) d'une forme classique inflexible et pure, presque nue à la plus folle préciosité. Les deux premiers vers sont splendides de simplicité. J'ajouterai que, comme valeur intrinsèque, cette simplicité nue évoque admirablement les grandes lignes de l'été. Mais le Méry si 16è et 17è siècle, la couleur fin du 16è et commencement du 17è de ces vers                                          " l'an pareil en sa course " etc aussi bien par la mythologie du temps la pompe etc  que par la langue, sont un charmant artifice                                            du goût pour les porter comme au  voisinage de la préciosité. Comme au fond
  guez de balzac          cette préciosité est tt à ft moderne, sinon du Mallarmé, au 16è siècle, cet artifice en rendant la transition acceptable, ne la laisse pas moins très piquante. Ajoutez que dans la préciosité les images restent d'une sincérité, d'un naturel exquis ( je veux dire empruntées à la nature ) . Ce pied " altéré "
qui va boire comme une plante nous donne merveilleust  l'idée de ces êtres obscurs que sont nos organes et qui paraissent en effet vivre d'une vie particulière mais obscure ( je suis si fatigué que les mots se répètent et je ne sais plus ce que je dis ) ce pied boit comme une racine et en effet après cela ne se sent-il pas heureux et comme désaltéré. De même le pied fêté par l'eau est délicieux, l'eau a si bien l'air d'être en fête avec ses mille petites ondes troublées qui viennent murmurer des caresses étincelantes aux pieds de la beauté qui les foule. Enfin c'est un grand plaisir que de trouver tant d'archaïsme, de grandeur, de mythologie, de goût, et de nature dans une sorte de court billet familier. C'est là " en dernière analyse " qu'est le charme. C'est du reste le charme de Mallarmé, et le rôle du poète, de solemniser la vie. - Ouf !... Je n'ai jamais eu l'air de croire, mon cher petit que nous ne sortions pas triomphants de nos petites épreuves. Et du reste ce n'est pas du tout comme vous dîtes l'opinion ancienne et générale qu'on ne le peut. Car pour les personnes d'élite, les penseurs, les saints etc il est trop clair qu'ils croient qu'on peut ce qu'on vaut, ou plutôt qu'on veut ou plutôt ce qu'on peut. C'est à dire que notre volonté, notre pouvoir sur nous donne la mesure de notre valeur. Resterait donc le vulgaire. Mais précisément sur ce sujet il me semble croire aussi à la liberté. C'est ce qu'implique son extrême sévérité pour ces fautes, que sans doute il blâmerait moins s'il les croyait inévitables. D'ailleurs il me semble que ce n'est pas un problème à part. Le problème de la liberté n'est pas à recommencer pour chaque ordre d'actes en particulier. Je vous embrasse et vous demande pardon de cette assommante lettre. J'ai tant de lettres en retard mais j'ai voulu commencer par vous. J'ai des petites choses à vous raconter. Mais je suis trop fatigué. Ce sera pour une autre fois. Aujourd'hui vous n'aurez eu que de l'ennuyeux. Restez longtemps à Villers pour prendre des forces pour St Cloud. J'approuve beaucoup ce plan d'été ce dont d'ailleurs vs vs moquez. Je ne crois pas que je l'imiterai, malgré que maman soit assez encline à cela ( pas à Villers, à St Cloud ). Dîtes bien des choses, particulièrement à Mlle Marie et généralement à vos soeurs, puisque vous avez le bonheur d'être au milieu d'elles, comme Apollon parmi les Grâces.                                                                                                                                                       


                             Marcel

*   Antoine Gombaud - Méré  Blaise Pascal entretinrent une correspondance
** Jean-Louis Guez de Balzac auteur libertin 17è

samedi 25 janvier 2014

Premier en anglais,Toto - Mon petit frère -Courteline ( Nouvelles France )


crobardures.canalblog.com

                                                   Premier en anglais
                                                          TOTO

            - Moi, comme j'ai été le premier en anglais maman a dit comme ça :
            " Comme cet enfant, qu'elle a dit, a été le premier en anglais, pendant les vacances de Pâques on le mènera voir la comédie, puisqu'il a été le premier en anglais. "
            - Ah ?
            - Oui. Alors papa est allé louer des places. Ça fait qu'il est rentré mardi en disant :
            " Je viens de louer des places
              - Et pour où que tu as loué des places ? qu'a dit maman ".
           - Papa a dit qu'il avait loué des places pour aller au Théâtre Français voir jouer Le Supplice d'une femme. Alors maman s'a fichu en colère. Elle a dit que papa était un imbécile et qu'il ne faisait que des bêtises.
            - Ah ?
            - Oui. Elle criait :
            " Est-ce que tu perds la tête de mener cet enfant à une pièce pareille ? Tu veux donc lui donner de mauvaises idées ? "
           - Et papa baissait le nez, parce qu'il ne savait pas quoi répondre. A la fin maman a dit que papa ne savait pas ce qu'il faisait, mais qu'elle aimait encore mieux que j'aie de mauvaises idées que de laisser perdre des places qui avaient coûté vingt-cinq francs. Alors on a été tout de même voir jouer Le Supplice d'une femme.
            - Ah ?
            - Oui. en voilà une pièce qui est bête ! Mon vieux, on y comprend rien ! C'est rien que des gens qui parlent à tort et à travers et qui disent tout ce qui leur passe par la tête. T'as jamais rien vu de plus bête, et tout le temps maman me disait :
              " N'écoute pas ce qu'ils disent, Toto, c'est des mensonges ! "
             - Et elle disait à papa : 
             " Il faut être aussi fou que tu l'es pour avoir amené cet enfant à une pièce aussi immorale. "
             - A la fin on a rentré et maman a dit comme ça :
             " Je ne veux pas que cet enfant reste sous le coup de mauvaises idées. Demain soir on ira voir jouer La Chatte blanche. "
            - Ah ?
PabloPicasso 1900 
            - Oui. Ça fait que le lendemain on a été au Châtelet. Mon vieux, c'est ça qui est rupin ! Pour sûr alors, c'est rupin !... Si tu savais!... Mon vieux, il y a des dames toutes nues !... C'est joli :... On voit tous leurs estomacs !... A un moment y en a qui dansent, des fois elles relèvent leurs jupes et elles font voir leurs derrières... Tu ne peux pas te faire un idée comme c'est chic !... Crénom ! j'ai rudement rigolé ! Maman aussi. Tout le temps elle disait :
            " Tu t'amuses Toto ? "
            - Et elle disait à papa :                                            
            " Hein ? Voilà un vrai spectacle à faire voir à des enfants. Au moins ça ne leur donne pas de mauvaises idées ! "
            - Je serais toi je dirais à ta mère de te mener voir La Chatte blanche. C'est pas comme Le Supplice d'une femme où on ne sait pas ce que ça veut dire. On comprend, mon vieux !... On comprend...



                                                                                                Georges Courteline   


                                                         ********************


chêne de courbet
                             fr.culture.fr                                 Mon petit frère

            Mon petit frère qui était en cinquième l'an dernier ne passera que l'an prochain dans la classe suivante. Suffisant en mathématiques, plutôt brillant en thème latin, il a été au-dessous de tout en littérature française, il s'est montré l'égal d'un cochon dans l'art d'expliquer La Fontaine, si bien qu'il a été recalé à l'examen et qu'il va redoubler sa cinquième à titre de vétéran. Ce pauvre enfant est désolé. Je l'ai consolé de mon mieux puis questionné à mon tour. Or voici scrupuleusement sténographié sous la dictée de ce bambin digne de foi ce qui se serait passé entre lui et son examinateur. Ça empeste la vérité à en tomber asphyxié, et je crois devoir livrer à l'étonnement des masses cette surprenante entrevue.

            L'examinateur -... Et maintenant nous allons passer à l'examen des auteurs français. Êtes-vous un peu fort sur ce point ?
            Mon petit frère - Oh ! très calé !
            L'examinateur - Quoi ?
            Mon petit frère ( se reprenant ) - Très ferré. Je veux dire, très ferré.
            L'examinateur - A la bonne heure. Dites-moi, de tous les écrivains qui ont illustré notre langue, auquel vont vos prédilections ?
            Mon petit frère ( embarrassé et qui n'a pas de préférence ) - Mon Dieu...
            L'examinateur - Serait-ce à Corneille ?
            Mon petit frère - Oui.
            L'examinateur - Ou à Molière ?
            Mon petit frère - En effet.
            L'examinateur - Peut-être à La Fontaine ?
            Mon petit frère - Ça se pourrait encore.
            L'examinateur -  Ce choix fait honneur à votre jugement. Je vous en félicite de toutes mes forces et puisque le hasard nous a amenés à prononcer le nom de La Fontaine, parlons un peu de La Fontaine. Qu'est-ce que vous pensez de La Fontaine ?
            Mon petit frère ( qui n'en pense rien ) - Je pense que c'est un grand poète.
            L'examinateur -  Bonne réponse! Très bien,  mon ami ! Avec des idées comme celles-là vous ferez votre chemin dans la vie. J'ose vous le prédire hardiment. Mais pourquoi vous prisez l'auteur, sans doute vous possédez l'oeuvre? Voudriez-vous me citer parmi les fables de La Fontaine, celles qui vous paraissent mériter une admiration particulière,  autant par l'ampleur des sujets que par l'excellence de la forme.
            Mon petit frère ( qui s' en bat l'oeil  ) - Ma foi...
            L'examinateur -  Je gage mon ami que vous avez une préférence pour Le Meunier, son fils et l'âne ?
             Mon petit frère - Je l'avoue...
            L'examinateur - Pour Le Paysan du Danube ?
            Mon petit frère  - Oui, monsieur.
            L'examinateur - Sans doute aussi pour Le Chêne et le Roseau ?
            Mon petit frère ( qui déborde d'admiration bien feinte ) - Oh !...
            L'examinateur - À merveille.  Je vois que vos goûts et les miens vont d'instinct aux mêmes chefs-d'oeuvre. Vous savez Le Chêne et le Roseau ?         
            Mon petit frère - Oui monsieur. ?.
            L'examinateur - Récitez-le moi. ( il prend l'attitude recueillie du monsieur qui se prépare à déguster un Maître ).
            Mon petit frère récitant - Le chêne un jour dit au roseau...
            L'examinateur - Arrêtez-vous.   Qu'est-ce que vous pensez de ce vers ?
            Mon petit frère ( très carré ) - Superbe !
            L'examinateur - Superbe, il est vrai, mais pourquoi ? (  mutisme embarrassé de mon frère ) Vous trouvez que ce verbe est superbe et vous ne savez pas pourquoi ? ( Suite du mutisme ) Et vous dites que vous connaissez La Fontaine !... ( Mon petit frère se met à pleurer ) Il ne faut pas pleurer pour ça. Voyons mon ami, répondez : Savez-vous ce que c'est qu'un chêne ?
            Mon petit frère - Oui monsieur, un Chêne c'est un arbre.
            L'examinateur - Fort bien. Mais quel espèce d'arbre ? ( reprise du motif ci-dessus : mutisme prolongé du candidat ) Est-ce un grand arbre ? Est-ce un petit ? Dites quelque chose, voyons !
            Mon petit frère ( timidement ) - Monsieur, c'est un grand arbre.
            L'examinateur ( satisfait ) - Ah ! Et un roseau, qu'est-ce que c'est ?
            Mon petit frère - C'est une espèce de petit truc. Un machin quoi, qui sort de l'eau.
            L'examinateur ( érudit ) - Le roseau est une petite plante aquatique, à tige droite, lisse et élancée, qui pousse généralement sur le bord des marais. Eh bien ! comprenez-vous maintenant tout ce qu'il y a de beau dans ce vers ? dans cette opposition du roseau et du chêne, si disproportionnés chacun à chacun et conversant d'égal à égal, cependant ? Hein ? N'y a-t-il point là une touchante antithèse ? Et n'est-ce point, je vous le demande, à tirer les larmes des yeux ?              
            Mon petit frère ( pas convaincu ) - Si.                                   *
            L'examinateur - Laissez-moi parler, je vous prie... Vous me  direz : " C'est touchant mais tout à fait invraisemblable !... On ne saurait me faire admettre que le chêne pousse la condescendance jusqu'à adresser la parole au roseau et se complaise en si petite société !... " Je vous sais gré de cette objection qui prouve votre intelligence. Mais c'est là que je vous attendais !... Oui, le chêne parle au roseau. Seulement, quand consent-il à lui parler ? UN JOUR !...
                                                                Il déclame
            Le chêne, un jour, dit au roseau...
            UN JOUR, vous entendez ? UN JOUR !... c'est à dire par extraordinaire !... contrairement à son habitude qui est de tenir le roseau à distance et de ne point frayer coutumièrement avec sa trop humble personne ! Le fabuliste a tout prévu, et je sais peu de vers dans son oeuvre où s'affirme de plus éclatante façon sa clairvoyance et son génie. Continuez.
            Mon petit frère ( récitant ) - Vous avez...
            L'examinateur ( absorbé ) - UN JOUR !... UN JOUR !...
            Mon petit frère ( récitant ) - ... bien sujet...
            L'examinateur - Et c'est le chêne qui parle, notez bien... Le roseau ( le bonhomme l'a parfaitement senti ) n'eût point eu la témérité de parler lui, le premier, au chêne !...
            Mon petit frère - Il se serait fait ramasser.
            L'examinateur - Quoi ?
            Mon petit frère - Rien... ( Il récite ) Vous avez bien sujet d'accuser la nature.
            L'examinateur ( affectant de mettre un frein à la fureur des flots ) - Halte ! Halte ! Halte !... Ne vous emportez pas, de grâce !... vous vous en porterez mieux. ( Il rit. Mon petit frère l'imite ) Quel est votre avis sur ce vers :
                                     Vous avez bien sujet d'accuser la nature ?
            Mon petit frère - Mon avis ?
            L'examinateur - Oui, votre avis. vous semble-t-il bon ou mauvais ?
            Mon petit frère - Bon Monsieur !... Excellent !
            L'examinateur - Pourquoi ?
            Mon petit frère ( que commence à gagner un certain ahurissement ) - Je ne sais pas.
            L'examinateur ( l'oeil au ciel ) - Ah ! Jeunesse !... Pourtant, réfléchissez : examinez-le de près, ce vers, efforcez-vous d'en mettre en lumière les beautés ( Silence morne de mon petit frère ) C'est tout ce que vous trouvez ?... Mais sac à papier, mon garçon, le mot " sujet " ne vous dit donc rien ?
            Mon petit frère - Si, monsieur.
            L'examinateur - Qu'est-ce qu'il vous dit ?
            Mon petit frère - ...........
            L'examinateur ( navré ) - Et le mot " nature " ? ( Silence de mon petit frère ) Pas plus ? ( Haussement d'épaules ) C'est déplorable... Déplorable... Voyons, raisonnons, voulez-vous ? Pourquoi le fabuliste a-t-il mis que le roseau avait sujet , au lieu de mettre qu'il avait raison ? ( Un temps ) Vous ne devinez pas ?... C'est cependant bien simple. Raison est vague, et Sujet est précis !... Sujet est mis là pour Motif... Grief... si vous préférez. Le roseau a " Sujet " d'accuser la nature. C'est dire qu'il peut arguer contre elle, preuves à l'appui !
            Mon petit frère - C'est évident.
            L'examinateur - Que ne le disiez-vous, alors ? ... Et pourquoi le chêne, s'il vous plaît, dit-il " la Nature " et non " Dieu " ?... Parce que, gonflé d'orgueil, il est naturellement imbu de théories matérialistes!
C'est clair comme le jour, mon ami. Du reste, il faut convenir d'une chose, c'est que si le poète eût dit :
                                       Le chêne un jour dit au roseau :
                                       " Vous avez bien sujet d'accuser Dieu... "                
Le vers eût été bien moins beau ! C'est votre avis ?                            
            Mon petit frère ( abasourdi ) - Je ne sais plus, monsieur... je ne sais plus.
            L'examinateur ( très sec ) - Allons, allons ! Vous ne savez rien ! Vous êtes un crétin, mon garçon. Allez étudier vos classiques. Nous reprendrons cet entretien à la fin de l'année scolaire.                           **
         
            Et voilà pourquoi mon petit frère redouble actuellement sa cinquième en qualité de vétéran.

*   sites.univ-provence.fr
** bulat-pestivien.fr

                              Georges Courteline
                                                                                                               
            

jeudi 23 janvier 2014

Shalom India Résidence Esther David ( Roman Indien )

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                                              Shalom India Résidence

            Le prophète Elie, Eliyahu Hannabi, aime avoir son verre de vin et sa place réservée dans les maisons Bene Israël pendant les fêtes de Pessah, la porte de la maison restant ouverte, transformé en papillon il passe de logis en logis pendant la lecture de la Haggada, écoute les voeux qui lui sont adressés, comme ils le seront tout au long de la vie de chacun. Les juifs nés en Inde ont émigré en Israël entre autres, une petite   communauté s'est rassemblée à Ahmédabad, dans deux résidences. Un homme en eut l'idée et de Bombay et de banlieues se retrouvèrent appliqués à suivre les préceptes religieux, mais les femmes portent des saris, friands des sucreries indiennes, elles seront sur les tables des fêtes. L'auteur qui vit en Inde nous raconte la vie de ces résidents, ils s'appellent Juliet ou Malika, Lolo Lata, Ruth, Ben Hur ( ! ), Samuel, Yacov et tous ont des sentiments, les filles des mère et père qui leur interdisent les jeans et les caracos légers, les fils ont la charge de leurs parents, et belles-filles et belles-mamans... Des mariages inattendus entre un hindou et une juive, ou un autre avec un musulman pakistanais. Histoires où des tantes consolatrices ont leur rôle. La vie très romancée d'adultes, confrontés aux chagrins ils fondent le club du rire au sein de la Résidence et s'y adonnent chaque jour, matin et soir. Avec un certain succès. " Franco rentra chez lui de bonne humeur et l'esprit léger, il n'avait pas ri comme ça depuis longtemps, et il devint accro au Jardin du rire... " Les préceptes religieux passés en revue entre problèmes d'amoureux ou de voisinage sont prétextes à fêtes, et jeunes filles et jeunes gens applaudissent les films de Bollywood, au cinéma, sur ordinateur. Et Yacov forme des jeunes hommes qui devront à leur tour souffler dans le sofar.