jeudi 8 janvier 2015

Un souper chez Rachel - Epigramme - A l'Aigle Alfred de Musset ( Nouvelle France ).

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                                                   Un souper chez Rachel

            " J'avais perdu l'adresse exacte d'Augerville. Je viens de la retrouver trop tard. " Merci d'abord de la lettre de Paolita. Elle est bien gentille mais moins que vous, qui ne manquez jamais une occasion d'envoyer un moment de joie à ceux qui vous aiment. Vous êtes la seule créature humaine, mâle ou femelle que je connaisse faite ainsi.
            Un bienfait n'est jamais perdu : en réponse à votre lettre sur Desdémone , je veux vous servir un souper chez Mlle Rachel qui vous amusera peut-être, si nous sommes toujours du même avis. Ma petite scène sera pour vous seule, d'abord parce que la noble enfant déteste les indiscrétions et ensuite parce que, depuis que je vais quelquefois chez elle, on a fait tant de cancans et de bavardages niais, que j'ai pris le parti de ne pas seulement dire que je l'ai vue au Français.
            On avait joué Tancrède, et j'étais allé dans l'entr'acte lui faire compliment sur son costume, qui était charmant.
            Au quatrième acte; elle avait lu sa lettre avec un accent plus touchant, plus profond que jamais, elle-même m'avait dit qu'à ce moment elle avait pleuré, et s'était sentie émue à tel point qu'elle avait craint d'être forcée de s'arrêter. Au sortir du théâtre, le hasard m'a fait la rencontrer sous les galeries du Palais-Royal, donnant le bras à Bonnaire et suivie d'un escadron de filles, parmi lesquelles Mlle Rabut,Mlle Dubois, du Conservatoire, etc., etc.,
            Je la salue et elle me répond : " Je vous emmène souper. "
            Nous voilà arrivés chez elle. Le triste Bonnaire, désolé de la rencontre, s'éclipse, et va noyer son désappointement dans plusieurs petits verres. A ce piteux départ, Rachel éclate de rire. Nous entrons, nous nous asseyons, les amoureux de ces demoiselles, chacun à côté de sa chacune, moi à côté de la chère fanfan. Après quelques propos insignifiants, Rachel s'aperçut qu'elle a oublié ses bagues et ses bracelets ; elle envoie la bonne les chercher. Plus de bonne pour faire le souper.
*            Rachel se lève, va se déshabiller et de là à la cuisine. Un quart d'heure après elle rentre en robe de chambre et en bonnet de nuit, un foulard sur l'oreille, jolie comme un ange, tenant à la main une assiette dans laquelle il y a trois biftecks qu'elle a fait cuire elle-même. Elle pose l'assiette au milieu de la table en nous disant : " Régalez-vous. "
            Elle retourne à la cuisine, revient avec une soupière pleine de bouillon fumant, et une petite casserole d'épinards. Voilà le souper. Point d'assiettes ni de cuillères, la bonne ayant les clés sur elle. Rachel ouvre le buffet, trouve un saladier plein de salade, prend la cuillère de bois, déterre une assiette et se met à manger seule.
            - Mais, dit la mère qui a faim, il y a des couverts d'étain à la cuisine.
            Rachel va les chercher et les apporte. Ici commence le dialogue suivant :
            La mère - Ma fille, tes biftecks sont trop cuits.
            Rachel - C'est vrai, ils sont durs comme du bois. Du temps où je faisais notre ménage, j'étais meilleure cuisinière que ça. Tu ne manges donc pas, Sarah ?
            Sarah, ( jadis comédienne ambulante, et n'ayant plus aujourd'hui de profession que celle de soeur aînée de Rachel ) - Non, je ne mange pas avec des couverts d'étain ( sic ).
            Rachel - Tu ne manges plus avec des couverts d'étain !... c'est donc depuis que j'ai acheté une douzaine de couverts d'argent avec mes économies. Il te faudra bientôt un domestique en livrée derrière toi et un autre par devant. ( montrant sa fourchette ). Je ne chasserai jamais ces couverts de la maison. Ils nous ont trop longtemps servi, n'est-ce pas, maman ?
            Maman ( la bouche pleine ) - Est-elle enfant !
            Rachel ( s'adressant à moi ) - Figurez-vous que lorsque j'étais au théâtre Molière, je n'avais que deux paires de bas, et tous les matins....
            Ici la soeur Sarah baragouine une phrase allemande pour empêcher Rachel de continuer.
            Rachel ( continuant ) - Point d'allemand ici ! il n'y a pas de honte. Je n'avais donc que deux paires de bas, et, pour jouer le soir, j'étais obligée d'en laver une paire tous les matins. Elle était dans ma chambre pendue à une ficelle pendant que je mettais l'autre.
           Moi - Et vous faisiez le ménage ?
           Rachel - Je me levais à six heures tous les jours, et à huit heures tous les lits étaient faits. J'allais ensuite à la halle acheter le dîner.
            Moi - Faisiez-vous danser l'anse du panier ?
            Rachel - Non, j'étais une honnête cuisinière, n'est-ce pas, maman ?
            Maman ( toujours mangeant ) - Oui, ça c'est vrai.
            Rachel - Une fois seulement, pendant un mois, j'ai dit que ce qui coûtait quatre sous en coûtait cinq, et que ce qui coûtait dix en valait douze. Avec cela, au bout du mois, j'ai amassé trois francs.
            Moi - Et qu'avez-vous fait de ces trois francs ?                                  *
            La mère, voyant que Rachel se tait - Monsieur, elle a acheté avec, les oeuvres de Molière.
            Moi - Vraiment ?
            Rachel - Ma foi, oui, j'ai acheté Molière avec mes trois francs. Pourquoi Mlle Rabut s'en va-t-elle ?Bonsoir Mademoiselle !
            Les trois quarts des ennuyeux s'en vont.
            La bonne revient, apportant les bagues et les bracelets oubliés. On les met sur la table ; les deux bracelets sont magnifiques ; ils valent bien quatre à cinq mille francs ; avec eux arrive une couronne d'or du plus grand prix. Tout cela carambole sur la table avec la salade et les épinards. Pendant ce temps-là, frappé du ménage et des lits, je regarde les mains de Rachel, craignant quelque peu de les trouver laides. Elles sont mignonnes, blanches et effilées comme des fuseaux, vraies mains de princesse.
            Sarah, qui ne mange pas, continue, de grogner en allemand. Il est bon de savoir que Sarah s'est échappée de l'aile maternelle avec je ne sais qui, est allé on ne sait où, et n'a obtenu son pardon et sa place à table que sur la prière répétée de Rachel !
            Rachel répondant aux grogneries allemandes - Tu m'ennuies, je veux raconter ma jeunesse. ( A
moi ) Je me souviens qu'un jour je voulais faire du punch dans une de ces cuillères d'étain. J'ai mis ma cuillère sur la chandelle, pour faire chauffer mon punch, et la cuillère m'a fondu dans la main. A propos Sophie, donnez-moi du kirsch, je veux faire du punch.
            Ici la bonne se trompe et apporte de l'absinthe au lieu de kirsch.
            La mère - Mais c'est une bouteille d'absinthe.
            Moi - Un instant, c'est mon affaire, donnez-m'en un peu.
            Rachel - Je suis bien contente que vous preniez quelque chose ici.
            Elle me prépare un verre d'absinthe que j'avale d'un trait.
            La mère - On dit que l'absinthe est très saine ?
            Moi - Du tout. C'est malsain et détestable ; mais je ne l'en aime pas moins.
            Sarah - ¨Pourquoi ?
            Moi - Ah ! parce que.
            Rachel - Donnez-m'en.
            Elle en boit un verre. La bonne apporte un bol d'argent dans lequel Rachel met du sucre, du kirsch, après qyoi elle allume son punch et le fait flamber.
            Rachel - J'aime cette flamme bleue.
            Moi - C'est bien plus joli quand on est sans lumière.
            Rachel - Sophie, emportez les chandelles.
            La mère - Du tout, du tout, par exemple !
            Rachel - Tu m'ennuies !... ¨Pardon, maman, tu es délicieuse, tu es charmante. ( Elle l'embrasse ) mais je veux que Sophie emporte les chandelles.
            Un monsieur quelconque prend les chandelles, et les met sur la table. Effet de crépuscule. La mère, verte et bleue, à la lueur du punch, toujours la bouche pleine, braque ses yeux sur moi. Les chandelles reparaissent.
            Sarah pendant que Rachel fait le punch  - Mlle Rabut était bien laide ce soir.
            Moi - Mais non, elle est assez jolie, il ne lui manque que le bout de son nez.
            La mère - Mlle Rabut est joliment bête.
            Rachel -Pourquoi dis-tu ça ? Elle n'est pas plus bête qu'une autre.
            La mère - Je dis qu'elle est bête parce que c'est une imbécile.
            Rachel - Eh bien, au moins, si elle est bête, elle n'est pas bête et méchante. C'est une bonne fille ; laissez-la tranquille. Je ,e veux pas de ces choses-là ici.
            Le punch est fait. Rachel remplit les verres et en donne à tout le monde ; elle verse ensuite le reste dans une assiette creuse et se met à le boire avec une cuillère ; après quoi elle prend ma canne, tire le poignard qui est dedans et se cure les dents avec.
            Moi - Comme vous avez lu cette lettre ce soir ! vous étiez bien émue.
            Rachel - Oui, il m'a semblé sentir en moi quelque chose qui allait se briser. Mais c'est égal ; je n'aime pas cette pièce de Tancrède ; c'est faux.
            Moi -Qu'aimez-vous mieux de Corneille ou de Racine ?
            Rachel - J'aime bien Corneille, mais c'est quelquefois trivial et quelquefois ampoulé, tout cela n'est pas vrai.
            Moi - Oh ! oh !
            Rachel - Oui, tenez, lorsque dans Les Horaces par exemple, Sabine dit :
            On peut changer d'amant mais non changer d'époux
Eh ! bien, je n'aime pas ça, c'est grossier.
            Moi - Vous conviendrez du moins que c'est vrai ?
            Rachel - Oui, mais ce n'est pas digne de Corneille. J'adore Racine ; c'est si beau, si vrai, si noble !
            Moi - A propos de Racine, vous souvenez-vous d'avoir reçu, il y a quelque temps, une lettre anonyme sur la dernière scène de Mythridate ?
            Rachel - Oui, et j'ai suivi le conseil qu'on me donnait, et ce n'est que depuis ce temps-là qu'on m'applaudit à cette scène. Est-ce que vous connaissez la personne qui m'a écrit ?
            Moi - Beaucoup. C'est la femme de Paris qui a le plus grand esprit et le plus grand pied. Quel rôle étudiez-vous maintenant ?
            Rachel - Nous allons jouer cet été Marie Stuart pour le public ambulant. Je n'aime pas tous ces rôles de pleurnicheuses. A l'hiver nous jouerons Polyeucte et peut-être...
            Moi - Eh bien ?                                                                                         o'connell
            Rachel frappant du poing sur la table - Je veux jouer Phèdre. On me dit que je suis trop jeune,que je suis trop maigre, ce sont des sottises. C'est le plus beau rôle de Racine ; je veux le jouer.
            Sarah - Ma chère, tu as peut-être tort.
            Rachel - Laisse-moi donc tranquille ! si c'est parce que je suis trop jeune et parce que le rôle n'est pas convenable, parbleu ! j'en dis bien d'autres dans Roxane, et qu'est-ce que ça me fait ? Si c'est parce que je suis trop maigre, je dis que c'est une bêtise. Une femme qui a un amour infâme, mais qui se meurt plutôt que de s'y livrer, une femme qui dit qu'elle a séché dans les feux, dans les larmes, cette femme-là n'a pas une poitrine comme madame Paradol. C'est un contre-sens. J'ai lu le rôle au moins dix fois depuis huit jours ; je ne sais pas comment je le jouerai, mais je dis que je le sens. Les journalistes me dégoûtent ; ils ne savent qu'inventer pour me nuire ; mais cela m'est égal, je jouerai s'il le faut pour quatre personnes. ( Se tournant vers moi ). Oui, quand on fait des articles francs, en  conscience, je ne connais rien de plus beau, de meilleur ; mais ceux qui écrivent pour de l'argent, pour calomnier, pour mentir, c'est pis qu'un voleur, pis qu'un assassin ; ce sont des gens qui tuent à coups d'épingle ; je les empoisonnerais !
            La mère, à moitié assoupie, et en train de digérer. - Ma chère, tu ne fais que parler, tu te fatigues. Tu étais debout ce matin à six heures ; je ne sais pas ce que tu avais dans les jambes ; tu as bavardé toute la journée, et encore tu viens de jouer, tu te rendras malade.
            Rachel - Non, laisse-moi, ça me fait vivre. Je te dis que non. M. de Musset, voulez-vous que j'aille chercher le livre ? Nous allons lire la pièce ensemble.
            Moi- Ah ! certainement je le veux bien.
            Sarah - Ma chère, il est onze et demie.
            Rachel - Eh bien, va te coucher.
            Sarah va en effet se coucher. Rachel revient avec son Racine, s'assoit près de moi, mouche la chandelle ; la mère s'assoupit en souriant.
            Rachel, ouvrant le livre avec un respect singulier, et s'inclinant dessus. - Comme j'aime cet homme-là ! Si on ne mettrait pas son nez dans ce livre, pour y rester deux jours sans boire ni manger !
            La mère - Oui, surtout quand on a bien soupé.
            Rachel et moi nous commençons à lire, le livre entre nous deux. Tout le monde s'en va. Elle salue d'un signe de tête et continue. D'abord elle récite d'un ton très monotone, comme une litanie. Peu à peu elle s'anime ; nous échangeons nos remarques, nos idées sur chaque passage. Elle arrive à la déclaration ; elle étend alors son bras sur la table, et le front sur sa main, appuyée sur son coude, elle s'abandonne entièrement. Cependant elle ne parle presque qu'à demi-voix : ses yeux étincellent, elle pâlit, elle rougit ; jamais je n'ai rien vu de si beau et jamais au théâtre elle n'a produit tant d'effet sur moi. La fatigue, un peu d'enrouement, le punch, l'heure avancée, une animation presque fiévreuse sur ces petites joues entourées d'un bonnet de nuit, je ne sais quel charme inouï répandu dans tout son être, ses yeux brillants qui me consultent, un sourire enfantin qui trouve moyen de se glisser au milieu de tout cela, tout enfin, jusqu'à cette table en désordre, cette chandelle qui tremblote, cette mère assoupie, il y avait là à la fois un tableau digne de Rembrandt, un chapitre de roman digne de William Meister, et un souvenir qui pour moi ne s'effacera jamais.
            Il est minuit et demi, le père rentre de l'Opéra où il vient de voir Mlle Nathan débuter dans la Juive. A peine assis, il adresse à sa fille deux ou trois paroles des plus brutales pour lui enjoindre de cesser sa lecture. Rachel ferme le livre en disant :
            - C'est révoltant, j'achèterai un briquet et je lirai seule dans mon lit.
            En disant cela elle avait les larmes aux yeux.
            C'était révoltant, en effet, de voir traiter ainsi une pareille créature. Je me suis levé et je suis parti, plein d'admiration, de respect et d'attendrissement.
            Et en rentrant chez moi, je vous fais à la hâte ce récit tout chaud, avec la fidélité d'un sténographe, et je vous l'envoie en vous priant de ne le communiquer à personne ; mais persuadé que vous en sentirez tout le prix, qu'il sera en sûreté chez vous, et qu'un jour on le retrouvera.
            Agréez, Madame, etc......


                                                                                      30 mai 1839 Alfred de Musset

                                                        ( texte peut-être repris et revu par Paul de Musset  ) 
                                                                           Publié le 25 mai 1859 in Le Magazine de la Librairie




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                                                                           Épigramme

                          Par propreté, laissez à l'aise
                          Mordre cet animal rampant ;
                          En croyant frapper un serpent
                          N'écrasez pas une punaise.

                                                          *******
                                                                                                                               alfreddemusset.canalblog.com
                                                        A l'Aigle
                                   ( qui est sur la porte du château de Nohant )

                                  Oiseau de Jupiter, oiseau porte-tonnerres,                    
                          Sois superbe partout, dans les cieux, dans ton aire,
                          Mais ici sois modeste, aiglon, car sache bien
                          Que dans cette maison dont tu gardes la porte
                          Il est un aigle aussi, mais de race plus forte
                                   Et d'un oeil plus grand que le tien.


                                                                                 Alfred de Musset 
                                                                                                       ( 1833 )

* rachel par william etty
   salade pratique.fr

lundi 5 janvier 2015

Momo des Halles Philippe Hayat ( roman France )

momo des Halles 2

                                               Momo des Halles
   
            143 francs, ce petit pécule trouvé dans la boîte à biscuits,  coffret de sa mère réservé aux courses, seront les seules ressources que les deux enfants emporteront de Fontenay-aux-Roses ce 26 août 1941. Les parents arrêtés, le patron du père se charge de cacher les enfants. Ils traverseront la banlieue, une partie de Paris à pieds. 5 kilomètres d'angoisse pour enfin découvrir ce qui sera leur logis, et pour Marie, la petite soeur de 12 ans, un peu une prison. Les dénonciations fréquentes,  anonymes se multiplient. Rue de la Cossonerie,  aux pieds du Carreau des Halles, la rue Saint Denis. Maurice dit Momo, 16 ans, compte les centimes. Arrivé à la limite de sa réserve,  sans ressource,  il approche les marchands et contre quelques services obtient du poisson,  un légume. Sérieux, infatigable, le sens du commerce, Momo entre danger et inconscience, a conquis quelques amis sûrs. Le marché parallèle n'a de limites que la raréfaction des bons produits. Et Marie, elle lit, Momo tente de lui donner des cours, toujours cachés sous les toits, dans leur chambre glacée. Leurs voisines reçoivent leurs clients, se jalousent, la plus proche, Bulle, 35 ans leur prodigue affection et conseils,  que Momo ne suit guère, pris dans l'engrenage de ses commerces, à l'aise dans son fief. Bulle jalousée, la gestapo, la milice, une dénonciation et le destin bascule. 1943, obligation de porter l'étoile jaune pour les juifs. Camp dans le Nord de Paris. Le livre est passionnant, d'un bout à l'autre. Il ne se lâche pas. Personnages simples, ils se meuvent dans un environnement connu. L'écriture est alerte ne permet pas de s'attarder sur l'effroyable période de cette guerre, les femmes les hommes espèrent contre tout réalisme partir travailler dans les fermes en Pologne. L'auteur, polytechnicien,  entrepreneur, a écrit un premier roman documenté, très vivant sur un sujet dramatique. 

samedi 3 janvier 2015

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui Samuel Pepys 39 ( journal Angleterre )


attelage.org

                                                                                                           16 janvier 1661

            J'allai ce matin de bonne heure chez le contrôleur de la Marine puis nous nous rendîmes ensemble à Whitehall pour voir Mr Coventry et lui rendre compte de ce que nous avons fait. Je me rendis ensuite chez milady lui présenter mes hommages. Mais arrivé là j'appris qu'elle était partie en voiture pour Chattam, pensant m'y trouver, ce qui m'embarrassa fort, car je n'avais guère envie de la suivre. Je ne voyais pas, néanmoins ce qu'elle pourrait faire quand elle constaterait mon absence. Dans l'embarras j'allai faire un tour dans la Grand-Salle de Westminster où je tombai sur Mr Child parti avec milady ce matin, mais, ayant un mauvais cheval avait rebroussé chemin. Mon embarras grandissant je résolus de la rejoindre. Retour donc en bateau chez moi. Je mets mes bottes, traverse le fleuve pour me rendre au relais de poste de Southwark où je louai un cheval et un guide pour Dartford. De là à Rochester. Comme j'avais de bons chevaux, une bonne route, j'arrivai une demi-heure environ avant la tombée de la nuit, soit avant 6 heures ( j'étais parti après 2 heures. Je retrouvai milady, sa fille Jemima, Mrs Browne et cinq domestiques, tous bien embarrassés de m'avoir point trouvé. Mais à mon arrivée, elle fut folle de joie. On s'amusa fort qu'elle eût formé le projet de ne pas se faire connaître et que le commandant du " Charles ", qu'elle avait fait venir, lui avait fait force politesses, bien qu'il la reconnût parfaitement et elle aussi. Bref, nous soupâmes dans la joie. Au lit. Plusieurs hommes du " Charles " vinrent me voir avant de me coucher. Le petit page partagea mon lit.


                                                                                                                    17 janvier
                                                                                                                 
            Lever, déjeuner avec milady, puis visite des capitaines Cuttance et Blake, pour la conduire à bord en canot. Traversée de Ham Creed, joli spectacle pendant toute la traversée, splendides vaisseaux, pour aller d'abord jusqu'au " Sovereign ", bâtiment magnifique que je n'avais encore jamais vu, milady Sandwich, milady Jemima, Mrs Browne, Mrs Grace, Mary et le page domestique de milady, ainsi que moi, entrâmes tous ensemble dans le fanal de poupe. Allés ensuite sur le " Charles ", où milady prit grand plaisir à visiter toutes les cabines et à m'entendre lui raconter comment les choses se passent lorsque milord est à bord. Après avoir tout visité les officiers du vaisseau offrirent à milady un bon déjeuner et, alors qu'elle buvait à la santé de milord, ils la saluèrent de cinq coups de canon. Nous nous partîmes ensuite, ils tirèrent encore treize coups de canon en notre honneur. Je dois avouer que c'est pour moi un grand plaisir de voir le vaisseau sur lequel a débuté et heureusement ma carrière. Montés ensuite à bord du " Newcastle ", montré à milady la différence entre un grand et un petit vaisseau. J'ai distribué sept livres au cours de la visite de ces bâtiments. Retour à l'arsenal de Chatham où j'avais commandé la voiture. J'appris là que sir William Batten et sa femme
( je les savais présents mais voulais à tout prix les éviter ) étaient partis pour Londres ce matin. . En voiture, traversée de la ville sans arrêt à notre auberge, laissant toutefois Goods derrière nous pour régler les dépenses. Je voyageai donc avec milady en voiture tandis que le page, à sa demande, prenait le cheval qui m'était destiné. La nuit tombait avant d'arriver à Dartford et à pleuvoir dru, les chevaux se fatiguaient, ce que nous avions grand souci d'éviter, par crainte de déplaire à milord. Nous fîmes donc halte pour la nuit. Nous parlâmes jusqu'au souper. Au souper milady et moi entrâmes dans une vive discussion sur la meilleure façon de disposer de ses biens : les léguer à son fils aîné, la meilleure pour milady contre mon avis, ou les distribuer en parts égales. Nous en discutâmes jusqu'à l'heure du coucher. Mais comme nous étions d'humeur joyeuse nous dîmes bonsoir à milady avec l'intention d'aller au relais de poste écouter une jolie fille jouer du cistre. Trop tard malheureusement, retour à notre auberge, tous les hommes dans la même chambre, où nous fîmes des gorges chaudes de notre abominable logement.


                                                                                                                   18 janvier 1661

            Les capitaines m'accompagnèrent au relais de poste vers 9 heures, et après avoir pris ma boisson du matin, je louai un cheval et un guide pour Londres, où j'arrivai à 11 heures, malgré une pluie légère et un fort vent de face. Trouvé tout en ordre à la maison, à l'exception de la guenon lâchée, ce qui me fâcha. Je la battis jusqu'à la laisser presque morte, pour leur permettre de la rattacher, ce qui me chagrina davantage. L'après-midi au bureau, réunion jusqu'au soir. J'allai ensuite chez mon père que je trouvai en bonne santé et l'emmenai chez Standing pour boire une chope de bière. Il me dit que ma tante était toujours en vie à Brompton, que ma mère s'y trouvait en bonne santé. Arrive William Joyce, ivre et d'humeur bavarde et hâbleuse, nous entretient de sa fortune et de je ne sais quoi, ce qui me contraria fort. Après lui Mr Hollier à qui j'avais donné rendez-vous. Il me donna quelque chose à prendre à titre préventif. Comme Joyce ne nous laissait pas parler comme je l'entendais, je le laissai avec mon père et conduisis Mr Hollier au Lévrier, où il me conseilla surtout, pour la pierre et les pertes de mémoire, dont je me plains, d'éviter de boire souvent, Conseil que je veux suivre si je puis.
            Retour chez moi. Je prends chez le libraire l'"Esope " d'"Ogilvy " qu'il a relié à ma demande, et suis vraiment très content de ce livre.
            Chez moi, et au lit.


                                                                                                                           19 janvier

            Allé chez le contrôleur de la Marine, puis ensemble en voiture à Whitehall.Vu en chemin sur une claie Venner et Prittchard, ils ont été pendus aujourd'hui avec deux autres hommes de la Cinquième Monarchie, les deux premiers de surcroît écartelés puis coupés en quartiers. Arrivés nous fîmes les cent pas et finîmes par trouver sir George Carteret que je n'avais pas vu depuis longtemps. Nous discutâmes de l'aide que nous pourrions apporter aux commissaires pour le désarmement et le paiement de la flotte. Nous avons l'intention de la leur refuser.A ce propos le trésorier général me dit qu'il soupçonnait Thomas Hayter de leur fournir des renseignements à cette fin, ce que nous considérons comme un amoindrissement de notre autorité. Ceci me préoccupe et j'entends bien tirer l'affaire au clair.                                                      
            Ensuite chez milady qui m'apprend que Mr Hetley est mort de la petite vérole sur le chemin de Portsmouth où il se rendait avec milord. Milady partit dîner chez son père. J'allai à la taverne de la Jambe
dans King Street, où je dînai d'un lapin, avec mon valet Will. Je le renvoyai ensuite à la maison, tandis que j'allai au théâtre où je vis  " La Dame perdue ", qui ne me plut guère. Gêné d'y être vu par quatre de nos commis qui occupaient une loge à une demi-couronne tandis que j'étais dans les travée à 1 shilling 6 pence.
            Pris un flambeau et allai acheter deux souricières chez Thomas Pepys, le tourneur. Je m'en fus boire une chope de bière avec lui, puis retour chez moi. J'écrivis une lettre à milord que j'expédiai par la poste à Portsmouth, et au lit.
                                                                                                                           

                                                                                                              20 janvier
                                                                                              Jour du Seigneur
            A l'église le matin. Dîner chez moi. Ma femme et moi à l'église l'après-midi. Cela fait, chez mon oncle et ma tante White. J'y laissai ma femme, revins en m'arrêtant chez sir William Penn, qui n'est pas encore remis. Puis retour auprès de ma femme, y soupai. Nous étions de bonne humeur. Retour chez nous et, après la prière, je m'occupai à rédiger mon journal des cinq derniers jours. Ensuite, au lit.


                                                                                                              21 janvier

            Ce matin, sir William Batten, le contrôleur de la Marine et moi à la Grand-Salle de Westminster, chez les commissaires chargés du paiement des soldes de départ de l'armée et de la marine. S'y trouvait le duc d'Albermarle. Nous siégeâmes sans ôter notre chapeau et discutâmes du désarmement des bâtiments? Nous constatons qu'ils ont l'intention de s'en occuper sans notre aide, et nous nous en félicitons, car c'est une affaire qui va déplaire fort aux malheureux marins et nous sommes heureux de ne pas y être mêlés.
            De là à l'Echiquier où je pris 200 livres que j'emportai chez moi. Puis retour au bureau jusqu'au soir. Allai voir ensuite sir William Penn. Il reçut la visite de lady Batten et de sa fille. J'envoyai chercher ma femme et nous restâmes à deviser jusque tard. Souper à la maison. Puis au lit, sans avoir dîné aujourd'hui.
            Drôle de temps cet hiver, pas le moindre froid, mais les chemins sont poussiéreux, des mouches partout et les rosiers couverts de feuilles. Un temps comme il ne s'en était jamais vu en ce monde pour cette
saison. Aujourd'hui pendaison de beaucoup d'autres hautes personnalités  de la Cinquième Monarchie.


                                                                                                                 22 janvier

            Allé chez le contrôleur de la Marine où j'ai lu ses propositions au lord amiral pour la réorganisation du corps des officiers de la marine. Il les as lus avec le plus grand sérieux. L"ennui est qu'il en semble trop satisfait. Ensuite à la chapelle des merciers, dans son carrosse. Monté dans la Grand-Salle, où nous tînmes conseil avec le Conseil royal du commerce pour discuter de certaines de leurs propositions en vue d'organiser des convois pour tout le commerce anglais. A cet effet nous fîmes affecter par le roi 33 navires, 4 du quatrième rang, 19 du cinquième, 10 du sixième. Propositions discutées par de nombreuses personnes de condition et des négociants qui se trouvaient présents. J'appréciai fort d'être ici en cette qualité, moi qui m'y étais autrefois rendu pour présenter ma demande de bourse pour le collège Saint-Paul. De plus sir George Downing, que je servis naguère, y siégeait comme président, ce qui me toucha également.
            Retour chez moi, et après un dîner léger, ma femme et moi nous rendons en voiture à Londres pour acheter des verres, puis à Whitehall pour voir Mrs Fox, mais comme elle était sortie ma femme se rendit chez maman Bowyer et je rencontrai le Dr Thomas Fuller que j'emmenai au Chien où il me parla de son dernier ouvrage qui paraît en ce moment. Il S'agit de son histoire de toutes les familles d'Angleterre; Il put m'en dire davantage sur ma propre famille que je n'en savais. Il me raconta que dernièrement il a dicté simultanément des textes en latin à quatre éminents érudits sur des sujets différents choisis par eux, plus vite qu'ils ne pouvaient les prendre jusqu'à ce qu'ils fussent fatigués.
            Il me dit incidemment que la meilleure façon de commencer une phrase dans un exposé, si l'on est pris de court et que l'on ne se souvienne plus de sa dernière phrase, ce qui ne lui est jamais arrivé, est, en dernier recours, de commencer par Utcunque ( cependant  ).
            Allai ensuite chez Mr Bowyer où je restai quelque temps. Puis chez Mr Fox où je restai un moment. Puis retour chez moi en voiture. Ensuite visite à sir William Penn chez qui je trouve Mrs Batten et deux autres jolies femmes. Nous restâmes pour le souper qui fut fort gai. Retour chez moi pour me coucher.


                                                                                                                 23 janvier

            Au bureau toute la matinée. Mes gens et ma femme s'affairent à la maison pour préparer le dîner de demain. A midi sans dîner, me rends dans la Cité. Y rencontrai Greatorex et nous allâmes boire une chope de bière. Il me dit avoir le projet d'aller faire des expériences à Ténériffe. Avec lui à Gresham Collège, je n'y étais jamais allé. Je prends l'air de la maison et trouve force personne du plus haut rang.
            Après quoi chez mon libraire pour y chercher des livres. Chez Stephens l'orfèvre pour faire nettoyer l'argenterie pour demain. Retour chez moi en acquittant en chemin nombre de petites dettes concernant l'achat de vin, de gravures, etc, ce à quoi je prends grand plaisir.
            Chez moi, trouve un grand remue-ménage. Slater notre messager venu comme cuisinier jusque très tard le soir.
            Dans mon cabinet de travail toute la soirée à feuilleter les oeuvres d'Osborne et ma nouvelle édition des " Patriarchae " d'Emmanuele Tesauro.
            Au lit tard, n'ayant rien mangé d'autre aujourd'hui qu'un morceau de pain et de fromage à la taverne, avec Greatorex, et une tartine de beurre chez moi.


                                                                                                                   24 janvier

            Chez moi toute la journée. Dîner avec sir William Batten, sa femme et sa fille, sir William Penn, Mr Fox, sa femme malade ne put venir, et le capitaine Cuttance.                    
            Premier dîner que j'offre depuis que je suis ici. Il me coûte plus de 5 livres. Et nous étions pleins d'entrain, mais ma cheminée fume.
            L'après-midi Mr Hayter m'apporte mon dernier terme de salaire. J'ai maintenant en main l'argent de Mr Barlow.
            Tous mes convives s'en vont. Mais très vite les deux sirs William ainsi que lady Batten et sa fille revinrent, soupèrent avec moi, et restèrent parler tard. Au lit, heureux d'en avoir terminé avec ces tracas.
                                                                                                               
                                                                                                                  25 janvier 1661

            Toute la matinée au bureau. Dîné à la maison avec Mr Hayter. J'ai réglé mes comptes avec lui pour le dernier terme. Après dîner, commençons à examiner les instructions de Northumberland, mais sommes interrompus par l'arrivée de Mr Salsbury, venu me montrer une miniature qu'il a faite de milord. Il est vraiment étrange de voir à quel point de perfection il est parvenu en l'espace d'une année. Allé ensuite chercher des livres à l'enclos de Saint-Paul. Puis retour chez moi. Cette nuit les deux cages que j'ai achetées ce soir pour les canaris, que le capitaine Rooth m'a envoyés aujourd'hui, me sont livrées. Au lit.


                                                                                                                   26 janvier

            Pas sorti de la matinée. Vers midi vient quelqu'un qui me connut autrefois et que je connus aussi, mais dont je ne sais pas le nom, pour m'emprunter 5 livres. Mais j'ai la présence d'esprit de refuser.
            Ont dîné avec moi aujourd'hui les deux Pearse et leurs femmes, le capitaine Cuttance et le lieutenant Lambert, dont nous nous sommes bien divertis en lui ôtant ses rubans et ses jarretières, après avoir tiré de lui qu'il vient de se marier.
            Mes invités partis, je me mis à mon luth jusqu'à la nuit, et au lit.


                                                                                                                   27 janvier
                                                                                                 Jour du Seigneur
            Avant mon lever des lettres me parviennent de Portsmouth m'apprenant que la princesse est maintenant rétablie et que lord Sandwich a pris la mer hier avec elle et la reine pour la France. A l'église, sans ma femme souffrant de ses menses. Sermon médiocre et ennuyeux d'un inconnu. Retour chez moi, et au dîner furieux que mes gens aient mangé un bon pudding, fait jeudi dernier par Slater, le cuisinier, sans la permission de ma femme.
            Retour à l'église. Bon sermon de Mr Mills. Passé ensuite une heure avec William Penn à discuter dans le jardin. Il répondit à beaucoup de mes questions en me rapportant l'opinion de Mr Coventry sur moi et celle de sir William Batten sur lord Sandwich, qui me satisfont l'une et l'autre. Ensuite chez sir William Batten où régnait la bonne humeur. Rencontrai le contrôleur de la Marine, sa femme et sa fille, première fois que je les voyais, ainsi que Mrs Turner, qui dîna avec son mari en notre compagnie, j'avais fait venir ma femme. Après le repas nous nous mîmes à manger des huîtres puis Mr Turner alla chercher de l'eau de vie. Tous de fort bonne humeur, nous nous séparâmes. Retour à la maison, et au lit.
            Aujourd'hui le pasteur lut à l'église une proclamation du roi pour la célébration de mercredi prochain, 30 janvier, jour de jeûne pour commémorer l'assassinat du feu roi.


                                                                                                                    28 janvier

            Toute la matinée au bureau. Dîner à la maison. Parti ensuite à Fleet Street avec mon épée que je porte affiler à Mr Brigden, récemment nommé dans les troupes militaires. Ensemble dans une taverne où je rencontrai Mr Damport. Après avoir un peu parlé de l'exhumation des corps de Cromwell, Ireton et Bradshaw aujourd'hui, j'allai chez Mr Crew puis au Théâtre où je vis une nouvelle fois " La Dame perdue ", qui me plaît davantage. Alors que j'étais assis derrière , dans l'ombre, une dame se retournant, cracha sur moi par mégarde, sans me voir. Mais voyant qu'elle était fort jolie, je ne m'en offusquai pas le moins du monde. Ensuite chez Mr Crew où je rencontrai Mr Moore qui, arrivé récemment en ville, m'accompagna chez mon père et avec lui chez Standing où le Dr Fairbrother nous rejoignit. Je l'emmenai avec mon père à l'Ours où j'offris une pinte xérès et une autre de bordeaux. Il continue à me manifester respect et affection, et me dit que mon frère John sera un excellent étudiant.
            Suivis ensuite le docteur à son logement chez Mr Holden, où j'achetai un chapeau qui me coûta 35 shillings. Retour chez moi au clair de lune et, rattrapé en chemin par le carrosse du contrôleur, raccompagné chez lui. Puis chez moi, et au lit. Ce midi ai fait installer mon armoire dans mon cabinet de travail pour y ranger des papiers.


                                                                                                                   29 janvier
                                                                                                                             
            Mr Moore occupé avec moi toute la matinée à faire des comptes, jusqu'à l'arrivée du lieutenant Lambert. Nous traversâmes ensemble le fleuve jusqu'à Southwark puis à travers champs jusqu'à Lambeth où nous nous arrêtâmes pour boire, car il fait un temps chaud, tout à fait superbe, c'en est même étonnant pour la saison. Ensuite chez milord où ne nous trouvâmes point milady partie à Hampton Court avec des gens. Nous nous rendîmes donc tous les trois à Blackfriars, c'est la première fois que je m'y trouve depuis qu'on y donne des pièces, et avec beaucoup de patience, sans me faire trop d'illusions à cause de bien médiocres débuts, je vis trois actes de La Dame au moulin, à ma grande satisfaction et retournai chez moi par le fleuve, en passant le Pont. Puis chez Mr Turner, y trouve le contrôleur, sir William Batten, Mr Davis et leurs femmes. Nous faisons là un dîner des plus élégants, léger mais coûteux, et du meilleur ton. Après cela force plaisanteries déplacées de Mr Davis et quelques chansons, puis nous nous séparons. Au moment du départ, le fils aîné de Mr Davis prit la vieille lady Slingsby dans ses bras et la porta jusqu'à sa voiture. Il est, dit-on, capable de porter trois des hommes les plus lourds de notre compagnie, ce qui m'étonne. A la maison, et au lit.


                                                                                                                  30 janvier
                                                                                                     Jour de jeûne
            Première fois que l'on commémore ce jour. Mr Mills fit un excellent sermon sur le thème de " Seigneur, pardonne-nous nos iniquités ". Parla excellemment de la justice de Dieu, qui punit l'homme pour les péchés de ses ancêtres.
            Retour chez moi. Visite de John Goods et, après le dîner,je lui remis 30 livres pour milady. Ensuite accompagné de sir William Penn allons à  Moorfields et faisons une promenade magnifique, la journée était des plus agréables. Longue conversation et, de surcroît, nous prîmes plaisir à voir les jeunes Davis et Whitton, deux de nos commis, qui passaient près de nous dans le pré. Nous constatons qu'ils se plaisent beaucoup en compagnie l'un de l'autre, et je les ai très souvent vus ensemble au théâtre.
            Retour à la taverne du vieux Jacques de Bishopsgate, où sir William Batten et sir William Rider le rencontrèrent pour discuter des affaires de Trinity House. Pour ma par, retour chez moi. J'apprends que ma mère est de retour, en bonne santé, de Brampton. Reçu une lettre de mon frère John, lettre fort habile, me demande la permission de venir à Londres pour le couronnement.
            Ensuite chez lady Batten. Accompagnée de ma femme rentre chez elle. Sont allées à Tyburn voir pendre et enterrer Cromwell, Ireton et Bradshaw. Retour chez moi.


libraires_fin_XVI                                                                                                                                                                                31 janvier

            Ce matin avec Mr Coventry à Whitehall afin de trouver un bateau pour transporter les planches de milord à Lynn. Nous avons choisi le " Gift " A midi chez milord où nous trouvons milady en mauvaise santé. Je dîne d'une bouchée et vais au Théâtre. Je m'installe au parterre, au milieu d'un groupe de jolies femmes, etc. La salle était archi-comble pour voir " Argalus et Parthenia ", c'était la première représentation. C'est assurément une bonne pièce, quoique gâchées par mes espérances excessives, comme pour tout. Ensuite chez mon père pour voir ma mère qui se porte assez bien depuis son retour de Brampton. Elle me dit que ma tante se porte aussi assez bien, mais ne saurait vivre longtemps. Mon oncle est également en assez bonne santé et elle pense qu'il se remarierait si ma tante venait à mourir, ce qu'à Dieu ne plaise. Retour chez moi.


                                                                                 .........../ à suivre
                                                                                                         ......../  1er février
             Le bureau..............
       

                                                                                                                                                           
                                                                                                                                               






dimanche 28 décembre 2014

Flash mots d'auteurs et autres 6 Paul Léautaud ( France )

constantin guys




                                                      Extraits du Journal littéraire

                                                                                           22 février 1924

             S'il est vrai qu'on n'est pas un grand homme pour son domestique, on court encore pire avec sa maîtresse.


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                                                                                           Dimanche 14 septembre 1924

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            Le pauvre Bailli est mort. Je l'ai trouvé mort dans son   fauteuil......... J'ai eu toutes les peines du monde au moment de la découverte de la mort, à empêcher les concierges de prévenir commissaire de police..... J'ai dû leur dire : " Il y a une veuve.... "            Il n'est pas gai pour un amant de perdre le mari de la maîtresse. Il est obligé d'entendre un panégyrique presque lyrique du défunt, recouvrant soudain toutes les qualités les plus exemplaires, après tous les quolibets et les injures dont on le couvrait de son vivant.


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léonor fini                                                                                 Samedi 28 mars 1925

            Mon pauvre Riquet, le plus délicat de mes chats, que j'ai eu tout petit, de la marchande de lacets du Luxembourg en 1913, est mort cette nuit...... sur mon oreiller..... Que de nuits j'ai dormi ainsi : Riquet sur l'oreiller, Bibi dans le lit contre mon dos..... Madame Minne et Lolotte tout contre moi également..... C'est une grande société que je perds..... Quand je découchais, la bonne avait beaucoup de peine à le faire se résigner à rentrer sans moi dans la maison...... Comme cela fait penser combien  le temps passe.....


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                                                                                         Lundi 27 février 1928

            ..... des jetons de présence aux séances de l'Académie. Cela amène Régnier à dire : 
           - Ainsi au "Figaro ", on veut faire une revue pour les enfants. On a formé un comité de lecture. Nous sommes six. Le jeton est de cent francs. 
          Valette lui demande : 
          - Et vous lisez ?
          - Bien sûr que non. C'est un autre qui lit. Celui-là ne touche rien.

                                                   
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                                                                                           Vendredi 15 juin 1928

            L'après-midi, visite d'André Malraux..... Il va s'occuper chez Gallimard, de la publication d'une collection : les principaux écrivains français commentés par un écrivain d'aujourd'hui..... Il me propose de faire Chamfort. Quatre ou cinq pages. Cent francs la page...... Je me suis défendu ensuite d'être capable de rien écrire sur Chamfort, à moins de redire tout ce qu'on a dit..... 
            - On a dit par exemple que tout ce qu'a écrit Chamfort se ressentait de la syphilis qu'il a eue. Qu'est-ce que vous voulez qu'on dise de plus. A moins de faire le pédant.
            Malraux me dit :
            - C'est Gourmont qui a dit cela, n'est-ce pas, dans son introduction au volume des " Plus belles pages " ?
           - Il a même dû penser à lui en écrivant cela.....
          .... Malraux me dit qu'il a eu une heureuse surprise en s'occupant de cette affaire : le désintéressement qu'il a trouvé chez tous les écrivains auxquels il s'est adressé. Il n'en a trouvé que deux qui lui ont d'abord demandé combien on leur donnerait...... 
            ..... Finalement, il a été convenu que j'allais réfléchir pour Chamfort et que je lui donnerai une réponse dans les huit jours.......
           André Malraux, garçon tout jeune, trente ans environ, l'air très intelligent, l'esprit très vif, ne parlant pas pour ne rien dire, et pas faiseur de compliments niais.


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                                                                                       Samedi 24 janvier 1931

            ...... Je suis à ma fenêtre. Il est une heure du matin. Un coq, tout près, se met à chanter.  Un coq voisin lui répond. Il répète. Un coq plus loin lui répond. Puis un autre plus loin encore, puis un autre plus loin encore, le cercle de réponse s'étendait à chaque cri, les derniers arrivant très adoucis par la distance. Je voudrais bien qu'on m'explique la signification.



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            Depuis le manque de chauffage, je travaille dans ma chambre à coucher, sur une affreuse petite table qui me vient du fléau. Des tiroirs. Je range dans l'un mes papiers, mon encrier, mes plumes d'oie...... mal poussé le tiroir. Je rentre ce soir, et je vois les deux premiers cahiers de mon " Journal 1941 " , les feuillets épars sur le parquet, certains salis, d'autres maculés d'encre, une page arrachée à mon petit " Misanthrope "....... Ce joli travail oeuvre de ma guenon, qu'à cause également du manque de chauffage je laisse libre depuis trois mois pour qu'elle puisse profiter du radiateur..... J'ai passé un moment à nettoyer...... et la guenon remise dans sa cage.


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                                                                                       Vendredi 22 mai 1942
                                                                       11 heures et demie du soir
               M.D. a acheté et apporté une tortue pour le jardin. Paméla..... Nous l'avons aussitôt mise dans le jardin. A son départ impossible de la retrouver..... dans toutes ces herbes

                                                                                       Lundi 25 mai 1942

            Je viens de retrouver Paméla dans une place un peu dégagée, en plein soleil........
            Elle a apporté une autre tortue : Florentine.    


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                                                                                     Lundi 11 février 1946   

                                                                                                                     marieclairidees.com

            ...... qu'est-ce que écrire ?....... Une maladie, une folie, une divagation, un délire, - sans compter une prétention !!!...... A y regarder d'encore plus près, la littérature, écrire, sont de purs enfantillages......


                                                                                                            
                                                                                                                
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                                                                                    Samedi 16 novembre 1946                                                                                                            9 heures et demie du soir
                Je crains bien de perdre la Minette cette nuit. Elle vient de se traîner dans ma chambre où elle était comme tous ces jours-ci, allongée au chaud au coin du feu....... elle a trouvé la force de se hisser dans le bas de mon armoire àlinge, à la même place qu'elle a accouché..... : l'expérience m'a fait pleurer, jusqu'à sangloter, en couvrant la chère bête de baisers......
            La guenon ne fait que pousser des cris de ne plus la voir dans ma chambre, sous ses yeux.


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postersplease.com                                                   Mardi 10 décembre 1946

            J'ai remis tantôt à M. de Sacy, directeur du " Mercure "...... la valeur de trois numéros composés d'avance..... Il s'y trouve nombre de détails de mes relations avec Moreno à l'époque qu'elle jouait " La Sorcière " chez Sarah Bernhardt, que j'allais très souvent la chercher au théâtre, pour la ramener à sa porte rue Saint-Louis-en l'Ile, et les propos qu'elle me tenait là, sur l'état physique de Schwib, sa privation d'amour, que ce ne serait pas quand elle aurait 60 ans qu'elle pourrait le faire. 
            S'ajoutant à cela sa liberté de termes et de façons dans sa loge....... une sorte d'intimité assez significative également.
            Evidemment c'est bien délicat de publier cela, et c'est même quelque peu indélicat. J'y ai bien réfléchi. Puis j'ai sauté le pas. Elle est beaucoup plus connue aujourd'hui qu'elle n'était à cette époque : tous les rôles au cinéma, son grand succès dans " La folle de Chaillot ".....


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                                                                                                             Samedi 8 mars 1947
                                                                               
                                                                                                                    chatmania.fr
            Le Chinois est devenu un être adorable, n'arrêtant pas de parler ; s'il est dehors et que je l'appelle, arrivant et grimpant l'escalier en bavardant, quand je me couche me rejoignant au lit avec toutes sortes de petits cris et de ronronnements........
            Je l'ai beaucoup trop gâté, trop habitué à la bonne nourriture. Je lui achète du foie qui me coûte 100 francs la livre. Il s'y trouve quelques petites parties nerveuses. Il les laisse.......
                                                                                                             
                                                                                                                     
                                                     Paul Léautaud poursuit son journal....                              
                                                                                              Il meurt le 22 février 1956              
mickaelbrana.wordpress.com                                                           
                                                                                                                  

            

                                                                                               




mardi 23 décembre 2014

Un secret du docteur Freud Eliette Abécassis ( roman France )



                                              Un secret du docteur Freud

            1938, Vienne. L'Autriche sous l'emprise nazie, se vide peu à peu des juifs. Ceux qui ont la possibilité de partir s'éloignent, d'autres arrêtés, les livres des psychanalystes sont détruits. Le 13 mars, Freud réunit ses amis, patients et confrères dans les bureaux des Editions Verlag, sa maison d'édition. Une séparation douloureuse pour le docteur Freud plus qu'octogénaire, rongé par un cancer de la mâchoire et qui n'en finit pas d'analyser et d'écrire. Il a d'ailleurs écrit des milliers de lettres, à commencer par celles adressées à sa future épouse, Martha, alors qu'il poursuivait son travail sur l'hystérie et l'hypnotisme auprès de Charcot à Paris. "... Il s'en veut à présent d'avoir autant écrit... ", car ses lettres notamment celles à son ami Fliess, sont une arme contre lui si elles arrivent entre les mains du Reich. Martin, son fils, détruit une partie des documents malgré le danger, mais la comptabilité n'échappe pas à Sauerwald, chimiste trouble, mandaté par le Reich pour récupérer l'appartement et les biens du psychanalyste et pour l'assassiner, car le fait d'avoir envoyé de l'argent à l'étranger est passible de la peine de mort. Mais Marie Bonaparte, sa vieille patiente, amie, du docteur et de la famille veille et l'incite fermement à partir. Le temps presse. Mais ses lettres à Fliess, et surtout la dernière que son fils a trouvée et rendue à son père, où sont-elles et que contiennent-elles ? Depuis longtemps " .... Il grattait sur le papier ce qu'il voulait graver dans son coeur, et de ses mains refermées autour de sa plume, il transcrivait des pensées qui lui étaient révélées alors même qu'il les écrivait ; car ainsi naît l'idée.... " Déjà brouillé avec Jung absorbé par les thèses allemandes, il se brouille avec Fliess. Bisexualité, homosexualité, approfondir ces thèmes, rêver pour mieux vivre en dénouant les fils des scènes nocturnes. Le docteur Freud tant critiqué par certains, paraît bien vivant dans le livre d'Eliette Abécassis, roman basé sur des faits réels. 

jeudi 18 décembre 2014

Flash Mots d'auteurs et autres 5 Paul Léautaud ( France )


peinture georges garrard
                                                   Extraits Journal littéraire

                                                                                             Mardi 10 Mars 1908

            ...... une émotion, ce matin, en lisant dans le journal cette histoire d'une soi-disant comtesse de Monteil, cambrioleuse modern-style, du genre des rats d'hôtel. Je lis dans le titre de l'article qu'elle avait vingt-sept ouistitis qu'on a saisis. Tout de suite je pars sur le sort de ces petites bêtes, privées de leur maîtresse et peut-être maltraitées. Ces ouistitis sont tout bonnement des petites pinces de cambrioleur, nommées ainsi dans l'argot du métier......


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                                                                                               Mercredi 22 Décembre 1909

            ...... Philippe est mort hier soir mardi à 9 heures. Gide me dit qu'on peut le voir dans une dépendance de la Maison de Santé, exposé sur une sorte de lit.......
            Je voulais revenir rue de la Chaise pour la mise en bière. Un chien égaré que j'ai trouvé et que je me suis amusé à reconduire chez lui, à la même heure, en voiture, dans un quartier au diable, où je n'avais jamais mis les pieds, m'en a empêché.                                                                                                   peinture jacques émile blanche : gide


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                                                                                                Vendredi 8 Novembre 1912

            Ce soir, au Mercure, Colette Willy. Causé ensemble animaux. Elle me parle de sa collection de chats bleus, toute une portée nouvellement nés. En réalité, elle aime surtout les bêtes de luxe..... Elle donne l'impression d'aimer les bêtes un peu en dompteur.


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                                                                                                     Mercredi 9 Juillet 1913

            Eté ce soir dîner chez Apollinaire. Lui et Marie Laurencin venus me chercher au Mercure. Eté ensemble porter la pâtée de mes chats du Luxembourg, puis une tarte aux fraises place Médicis. Ensuite ensemble chez Apollinaire...... Curieux appartement..... La chatte Pipe, noire et blanche, familière et joueuse. la peinture de Marie Laurencin...... Apollinaire. Il me plaît beaucoup..... un certain côté d'aventurier, d'équivoque..... Comme homme très simple...... On le sent plein de dessous. D'où vient-il ?.....quels sentiments ? Je me le dis en riant : j'aime       autant ne pas savoir......                                                                                                                   

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                                                                                                         Vendredi 25 Mars 1921

            .... Conversation charmante avec Pierre Benoit, venu pour voir Dumur à propos des multiples affaires de plagiat soulevées contre lui depuis un an et qui, à première vue, ne paraissent pas tenir debout. Benoit n'arrête pas de rire de tout cela, malin, spirituel, d'un entrain du diableµ...... Légion d'honneur, vedette dans la nouvelle revue fondée par Marcel Prévost, l'argent rapporté pas ses romans et malgré cela le même pour les chats qu'il adore, recueillant, soignant et plaçant les malheureux qu'il rencontre...... en ayant 14 pour son compte personnel.....


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                                                                                                          Jeudi 2 Novembre 1922

            Jamais je n'ai eu autant de chats qu'en ce moment, 45 ! L'année a été abominable en abandonnés ou perdus...... tous ceux que j'aurais pu prendre. Il y a hélas ! des limites comme argent, et comme travail pour ma bonne.

                    
                                                                                                  Paul Léautaud