dimanche 18 décembre 2011

Brunain la vache au prêtre de Jean Bodel ( France )

Les contes appelés fabelets, fableaux enfin fabliaux apparaissent aux environs du 12è siècle. Petites
scènes, comédies en vers et en prose. Voici l'un d'eux extrait d'un recueil de fabliaux.

          C'est d'un vilain et de sa femme que je veux vous conter l'histoire. Pour la fête de Notre-Dame, ils allaient prier à l'église. Avant de commencer l'office, le curé vint faire son prône ; il dit qu'il était profitable de donner pour l'amour de Dieu et que Dieu au double rendait à qui le faisait de bon coeur.
" Entends-tu ce que dit le prêtre ? fait à sa femme le vilain. Qui pour Dieu donne de bon coeur recevra
de Dieu deux fois plus. Nous ne pourrions mieux employer notre vache, si bon te semble, que de la donner au curé. Elle a d'ailleurs si peu de lait. - Oui, sire, je veux bien qu'il l'ait, dit-elle, de cette façon." Ils regagnent donc leur maison, et sans en dire davantage. Le vilain va dans son étable ; prenant
la vache par la corde, il la présente à son curé. Le prêtre était fin et madré : " Beau sire, dit l'autre,
mains jointes, pour Dieu je vous donne Blérain. " Il lui a mis la corde au poing, et jure qu'elle n'est plus
sienne. " Ami, tu viens d'agir en sage, répond le curé dom Constant qui toujours est d'humeur à prendre ;
si tous mes paroissiens étaient aussi avisés que tu l'es, j'aurais du bétail à plenté. " Le vilain prend congé du prêtre qui commande, sans plus tarder, qu'on fasse, pour l'accoutumer, lier la bête du vilain
avec Brunain, sa propre vache. Le curé les mène en son clos, les laisse attachées l'une à l'autre. La vache du prêtre se baisse, car elle voulait pâturer. Mais Blérain ne veut l'endurer et tire la corde si fort qu'elle entraîne l'autre dehors et la mène tant par maisons, par chenevières et par prés qu'elle revient enfin chez elle, avec la vache du curé. Le vilain regarde, la voit ; il en a grande joie au coeur. " Ah !
dit-il alors, chère soeur, il est vrai que Dieu donne au double. Blérain revient avec une autre : c'est
une belle vache brune. Nous en avons donc deux pour une. Notre étable sera petite ! "
          Ce fabliau veut nous montrer que fol est qui ne se résigne. Le bien est à qui Dieu le donne et
non à celui qui l'enfouit. Nul ne doublera son avoir sans grande chance, pour le moins. C'est par chance que le vilain eut deux vaches, et le prêtre aucune. Tel croit avancer qui recule.

          Jean Bodel

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