samedi 11 février 2012

Le Réveillon du jeune Tsar Léon Tolstoï ( nouvelle Russie )


                   Le Réveillon du jeune Tsar
                   ( né Comte Lev Nikolaïevitch Tolstoï  le romancier recherche les valeurs morales, philosophiques, il est de plus espérantiste et végétarien lorsqu'il écrit cette nouvelle parue dans
une édition posthume.)

                   Il venait de prendre le pouvoir. Depuis cinq semaines, il travaillait de son travail de tsar, écoutait des rapports, signait des papiers, recevait des ambassadeurs ou de hauts fonctionnaires et passait des troupes en revue. Il se sentait fatigué et, comme un voyageur exténué par la chaleur désire de l'eau et du repos, il aspirait à une journée sans réception, sans discours, sans revue, à quelques heures de liberté et de simple vie humaine qu'il aurait pu passer auprès de sa jeune femme, intelligente et belle, épousée seulement depuis un mois.
                   C'était le jour du réveillon et le jeune tsar s'était arrangé pour avoir sa soirée libre. La veille, il avait travaillé tard dans la nuit pour liquider les affaires ministérielles. Dans la matinée, il avait assisté à un service religieux ; puis, sans intervalle, à une fête militaire, que suivirent quelques audiences. Il écouta ensuite le rapport de quatre ministres et approuva certaines conclusions. Le ministre des finances lui fit accepter un nouveau tarif des droits de douane qui devait donner quelques millions de plus. Le même ministre lui avait fait signer un décret accordant le monopole de l'alcool à certains pays de l'empire, ainsi que le droit de vente des spiritueux dans les grands villages, ce qui augmenterait aussi le revenu de l'Etat. Enfin, il autorisa un nouvel emprunt d'or, indispensable à la conversion.
                    Le ministre de la justice lui soumit une affaire compliquée, concernant l'héritage des barons Schatten - Schnieder, ainsi que le règlement concernant l'application de la loi sur le vagabondage.
                     Avec le ministre de l'intérieur, il donna son adhésion à la circulaire concernant les impôts non perçus, signa un ukase sur les mesures à prendre comme les sectes, et un autre sur celles propres à assurer la sûreté de l'Etat.
                     Enfin, vint le ministre de la guerre qui lui demanda de contresigner la nomination d'un général commandant de corps d'armée, ainsi qu'un règlement concernant l'appel des conscrits et différentes mesures disciplinaires.
                     La liberté ne lui fut rendue que pour dîner. Mais ce n'était qu'une liberté partielle, car il recevait divers fonctionnaires avec lesquels il ne pouvait parler que de ce qui l'intéressait, mais seulement que de ce qui était nécessaire.
                     Le dîner ennuyeux enfin terminé, les convives partirent et la jeune tsarine regagna ses appartements pour quitter sa robe d'apparat, promettant de venir aussitôt retrouver son époux.
                      Entre deux rangées de valets droits comme des piquets, le jeune tsar passa dans sa chambre, quitta sa lourde tunique et, endossant une vareuse, ressentit, avec la joie de la libération, comme un attendrissement qui lui serait venu d'une vie heureuse, tranquille et saine, et de la jeunesse de son amour.
                      Il s'étendit sur un divan et, la tête appuyée sur sa main, il contempla le verre dépoli qui protégeait la lampe.
                      Bientôt, il ressentit ce qu'il n'avait pas éprouvé depuis son enfance : la joie de s'endormir.
                      - Non, je ne veux pas, car ma femme va venir, songea-t-il.
                      Puis il plaça sa joue sur sa paume, s'étendit et se sentit si bien qu'il ne désirait qu'une chose : qu'on ne vint pas le troubler. Et il lui arriva ce qui arrive à chacun de nous : il s'endormit sans le savoir, passant, contre sa volonté, de la veille au sommeil.
                      Avait-il dormi longtemps ? Il ne le savait pas. Mais, soudain, une main placée sur son épaule le réveilla.
                      - C'est elle, ma chérie. Mais c'est honteux d'avoir dormi ainsi.
                      Pourtant ce n'était pas elle. Devant ses yeux clignotants se tenait non celle qu'il attendait et désirait, mais Lui. Le jeune tsar ne le connaissait pas, ne l'avait jamais vu ; mais il n'était pourtant pas étonné de le voir. Il sentit qu'il le connaissait depuis longtemps et qu'il l'aimait, et croyait en Lui autant qu'en lui-même.
                       Il avait attendu sa femme aimée, et, à sa place, était venu Quelqu'un qu'il n'avait jamais vu. Et, cependant, le jeune homme, loin de s'en effrayer ou de s'en attrister, considérait cela comme tout naturel.
                       - Partons, dit l'Inconnu, de sa voix sans timbre.
                       - Oui, partons, dit le jeune tsar qui, sans savoir où il allait, savait pourtant qu'il devait obéir.
                       - Et comment ferons-nous pour sortir ? demanda-t-il.
                       - C'est très simple.
                       Et l'Inconnu ayant placé sa main sur la tête du tsar, celui-ci perdit aussitôt conscience de lui-même.
                       En s'éveillant, il se vit dans la campagne immense. A droite s'alignaient des champs de pommes de terre, des betteraves gelées et mises en tas, les nouvelles semailles d'hiver. Au loin, sur un ciel gris, pointaient les toits rouges d'un village. A gauche s'étalaient des champs, des blés d'automne et des chanvres. puis une longue ligne de poteaux-frontière. Le long de cette ligne se promenait la silhouette noire d'un homme, le fusil sur l'épaule, un chien sur les talons.
                        Tout près de l'endroit où se trouvait le tsar, et presque à ses pieds, un jeune soldat russe était assis. µIl portait l'uniforme bordé de vert des gardes-frontière et, certainement, ne voyait ni le souverain, ni son compagnon. Son fusil entre les jambes, il roulait une cigarette.

............................................... à suivre

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