vendredi 24 février 2012

Les Fenêtres Stéphane Mallarmé

Mai 1863 à Londres où il se trouve Mallarmé ne goûte guère la vie.et poursuit son Idéal de Beauté qui ne peut se trouver que dans le Rêve non dans l'Action, apparît le futur athéiste.  Il publie ce poème paru trois ans plus tard en 1866 au début de dix autres textes dans Le Parnasse Contemporain.


                               Les Fenêtres

                Las du triste Hôpital, et de l'encens fétide
                Qui monte en la blancheur banale des rideaux
                Vers le grand crucifix ennuyé du mur vide,
                Le moribond sournois y redresse un vieux dos,

                Se traîne et va moins, pour chauffer sa pourriture
                Que pour voir du soleil sur les pierres, coller
                 Les poils blancs et les os de la maigre figure
                Aux fenêtres qu'un beau rayon clair veut hâler,

                 Et la bouche, fiévreuse et d'azur bleu vorace,
                 Telle, jeune, elle alla respirer son trésor,
                 Une peau virginale et de jadis ! encrasse
                  D'un long baiser amer les tièdes carreaux d'or.

                  Ivre, il vit, oubliant l'horreur des saintes huiles,
                  Les tisanes, l'horloge et le lit infligé,
                  La toux ; et quand le soir saigne parmi les tuiles,
                  Son oeil, à l'horizon de lumière gorgé,

                  Voit des galères d'or, belles comme des cygnes,
                  Sur un fleuve de pourpre et de parfums dormir
                  En berçant l'éclair fauve et riche de leurs lignes
                  Dans un grand nonchaloir de souvenirs !

                  Ainsi, pris du dégoût de l'homme à l'âme dure
                  Vautré dans le bonheur, où ses seuls appétits
                   Mangent, et qui s'entête à chercher cette ordure
                   Pour l'offrir à la femme allaitant ses petits

                   Je fuis et je m'accroche à toutes les croisées
                   D'où l'on tourne l'épaule à la vie, et, béni,
                   Dans leur verre, lavé d'éternelles rosées,
                   Que dore le matin chaste de l'Infini

                   Je me mire et me vois ange ! et je meurs, et j'aime
                   - Que la vitre soit l'art, soit la mysticité -
                   A renaître, portant mon rêve en diadème
                   Au ciel antérieur où fleurit la beauté !

                   Mais, hélas ! Ici-bas est maître : sa hantise
                   Vient m'écoeurer parfois jusqu'en cet abri sûr,
                   Et le vomissement impur de la Bêtise
                   Me force à me boucher le nez devant l'azur.

                   Est-il moyen, ô Moi qui connais l'amertume,
                   D'enfoncer le cristal par le monstre insulté
                   Et de m'enfuir, avec mes deux ailes sans plume
                   - Au risque de tomber pendant l'éternité ?

                                                                                                           Stéphane Mallarmé

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