samedi 4 février 2012

Tendre comme le souvenir Lettres à Madeleine Guillaume Apollinaire ( Correspondance France )



Apollinaire
Vlaminck                     Le 1er janvier 1915 Madeleine Pagès  rencontre Guillaume Apollinaire dans  le train
                  qui de Nice la ramène à Marseille avant de retrouver sa famille à Oran, le poète quitte Lou, il
                  rejoint Nîmes où il fait ses classes, engagé volontaire. Amour de rêve qui soutient Apollinaire
                  dans les tranchées, auprès des morts et des blessés. 18 mois d'une relation voulue idéale, de sa
                  vie dans les tranchées. 
                  Extraits.
             
                 

                  16 avril 1915 ( carte postale )

                  Mademoiselle,

                  Je n'ai pas pu vous envoyer mon livre de vers, parce que mon éditeur est aux Armées comme moi et que sa maison est fermée. Je vous l'enverrai dès que je pourrai. Vous souvenez-vous de moi entre Nice et Marseille, au 1er janvier ?
                  Mes hommages très respectueux.
                  Je vous baise la main.
                                                            
                                                                   Guillaume Apollinaire 

Envoi du Brigadier Gui de Kostrowitzky
           38è d'Artillerie de Campagne
                           45è batterie 
                     Secteur Postal 59


                    
                  5 mai 1914   ( pour 1915 )

                  Mademoiselle,
                  
                  Quelle extraordinaire surprise m'attendait hier soir vers dix heures pendant une incroyable canonnade agrémentée de fusillades et cependant que tournait le moulin à café (mitrailleuse). J'étais encore à cheval et dans la nuit noire de la forêt où nous vivons dans des huttes, le vaguemestre me crie : " Un paquet d'Algérie pour toi. "
                  Et le gentil colis oranais était là tandis que pleuvaient les 120 et les 88 autrichiens et les 77 boches. Caisson mignon tout chargé d'obus délicieux et pacifiques ! Je ne sais comment vous remercier personnellement. Mais en attendant que l'occasion s'en présente comme je n'ai pas profité seul du gracieux envoi je vous envoie les remerciements de tous les gradés de la batterie qui comme moi ont goûté aux cigares et comme moi les ont déclarés exquis..
                   Et maintenant assis sur un sac d'avoine écrivant sur un tronc d'arbre, je vous revois petite voyageuse discrète aux longs cils, au visage expressif. Quelques heures dans un train ! Un merveilleux souvenir et la guerre comme décor avec la pluie tandis qu'il tonne désespérément et à mourir du côté de
Perthes. Ici, c'est maintenant plus calme qu'hier soir, un obus passe parfois en miaulant au-dessus de ma hutte.
                   ... Je reprends ma lettre, discrète et lointaine messagère de la belle Afrique ensoleillée ; la pluie, le vent sont tout à fait tombés. La forêt m'entoure avec ses noirs repaires. Entre les branches voici le ciel qui me donne la tendre impression d'un oeil bleu-noir, immense et fidèle.
                   C'est ici l'ultime limite de la France guerrière. L'artillerie est tout près des tranchées des fantassins qui ici sont à 60 mètres des tranchées allemandes. Pas un arbre qui ne conserve la trace d'un éclat d'obus, des troncs sont brisés  mâchés pour ainsi dire comme de mon temps les porte-plume des écoliers...

                                                    Voici quelques pauvres fleurettes
                                                    De merisier et de lilas...
                                                    Si Mai, chez vous, a plus de fêtes
                                                    Chez nous il a bien plus d'éclats
                                                    Mais ce sont nos seules fleurettes :
                                                    Brins de merise et de lilas...

                   Je reprends ma lettre pr la 3è fois à la lueur d'une bougie . Durant ce temps le vaguemestre m'a apporté à moi aussi un brin de lilas, celui de votre gentille lettre et avant tout, je dois répondre à votre post-scriptum.Je ne sais rien du village qui vous intéresse. D'ailleurs, je ne suis pas dans son secteur. Il ne nous est point permis d'envoyer des cartes reproduisant de vues  des régions où nous sommes ; je suis plus près de la Cathédrale, le sol est marneux.
                   Je n'ai pas osé vous écrire plus tôt, n'ayant pu tenir la promesse que je vous avais faite de vous envoyer Alcools, mon livre de vers. Néanmoins - et je vous le dis bien franchement - j'ai souvent, très souvent pensé à vous. Je suis si loin que je puis bien le dire sans vous choquer.
                    Votre lettre a mis dix jours à me parvenir et maintenant que j'ai votre gentille promesse je n'aurai de réponse que dans 20 jours ou un mois ! Donc écrivez-moi un peu plus souvent, moi, je vous écrirai aussi le plus souvent que je pourrai, si vous voulez bien et dans ma prochaine lettre je vous parlerai, de ma vie, des tranchées, de mon cheval Loulou et de poésie aussi, s'il reste de la place.
                     A moins que... un trop long silence ne vous renseigne suffisamment et je mets à vos pieds, Mademoiselle, les hommages très respectueux de
                                                                               Guillaume Apollinaire













































                                               Voici quelques pauvres fleurettes











  


















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