samedi 28 avril 2012

Lettres à Madeleine 33 Apollinaire

Lettre à Madeleine
Maître de l'école de Fontainebleau

                                               ( 9 8bre lettre du poète d'amour et poème . Par ailleurs il écrit " Mon amour je t'envoie une aile de papillon... les papillons ont de beaux noms mythologiques... " Il souligne après avoir lu d'Annunzio ..." Décidément c'est un écrivain bien faux... " )

                                                                                                                  11 8bre 1915

            Mon amour,j'ai eu 2 lettres de toi aujourd'hui ( du 2 et du 3 ) . Je suis très content, je t'y sens plus Poppée et Phèdre. Je t'aime tant ainsi. Surtout d'ici où ta chère sensualité me console de tout l'ennui, est le seul remède à l'ennui. Accentue cette note, mon amour. Tu as dit toi-même qu'il fallait augmenter le secret entre nous, augmente-le notre secret, sans crainte. Sois nue devant moi... de si loin. Je t'ai envoyé bien d'autres paquets pour te tenir au courant de mon existence, car je savais bien que les lettres auraient un long retard. Réponds aussi bien ponctuellement âmes questions quand j'en fais ou que tu en devines. Songe qu'à cette lettre-ci je n'airai pas de réponse avant le 27 ou le 28. Ne parle plus de la permission pour le moment, elles sont supprimées dans la zone de l'avant sur tout le front. Les permissionnaires de maintenant sont donc ou les gens des dépôts ou ceux des arrières de la zone des armées. L'infanterie va quelquefois au repos dans ces arrières, nous n'y allons jamais. Le groupe n'a pas encore été au repos. On  juge que nous avons assez de loisirs ( donc repos ) sur place. Je me souviens admirablement de ton lourd regard de Marseille, si chargé de toute la volupté que tu portes. Tu es très belle. Je baise ta bouche à travers la voilette que je déchire comme un voile d'Isis et je prends toute la petite voyageuse devenue ma petite femme adorée que je serre follement contre moi. Mais oui, mon amour nous saurons admirablement nous dire que nous nous aimons et nous saurons le dire par les lèvres et par les yeux.
            C'est charmant, exquis de m'avoir raconté ce que tu as fait après m'avoir quitté sur le quai de la gare à Marseille et aussi de m'avoir fait tout le récit du combat amoureux qui s'est livré en toi depuis. Je t'aime. Nous nous sommes donc aimés dès que nous nous sommes vus. C(est merveilleux. Je t'adore.
            Mon adorée, j'aime notre cher roman et je prends toute ta bouche que je baise, puis tes seins si sensibles et dont mon baiser durcit les pointes qui se tendent vers moi comme ton désir. Je mets mes bras autour de toi et je te presse intimement contre mon coeur.
            C'est le moment où les épeires ces araignées crucifères jettent lesfils de la vierge un peu partout. En les regardant ces fils blancs que le vent agite et fait blanchoyer à la lumière, c'est à toi que je pense Ô mon lys adoré.
                                                                               

            Tu as raison de ne pas me parler de la guerre si longue c'est tellement inutile d'en parler.
            D'ailleurs les communiqués sont très exacts. J'ai pu le vérifier pr ce qui concerne nos secteurs. Car c'est fini le temps où le soldat ne savait rien de la bataille - idée lancée par Stendhal souvent esprit faux - dans cette guerre en tout cas, on sait tout au fur et mesure. cela tient peut-être à la guerre de positions que nous faisons. Et Trapèze, Main, Tahure, Mamelles, arbre de la cote 193, on sait tout ce qui s'y passe, minute par minute pour ainsi dire par les blessés, les camarades du génie, les téléphonistes, les officiers eux-mêmes. Donc fie-toi aux communiqués, ils sont sincères et très très bien faits ! µJ'avoue que j'étais sceptique à  l'heure endroit, avant d'avoir pu contrôler leur leur véracité scrupuleuse. D'ailleurs ils sont postdatés et les événements qu'ils rapportent se passent la veille de la date qu'ils portent.
            Ici on est dans une très grande confiance justifiée par les événements. Dommage que les affaires balkaniques jettent quelque ombre là-dessus.Je t'écris ce soir du 10 peut-être finirai-je ma lettre demain, nous tirons une bonne partie de la nuit. Aujourd'hui spectacle admirable du retour d'une escadrille de 28 avions de bombardement que croisaient nos avions de chasse. Cela se passait très très haut pas aussi haut que notre amour et le ciel était taché de milliers de flocons blancs qu'y laissent les éclatements. Spectacle angoissant et charmant. D'une délicatesse si neuve ! Au loin longeant les 2 fronts narguaient les vilaines saucisses priapiques qui veillent immobiles comme des asticots qui naîtraient dans une pourriture d'azur. Saucisse ! Sont-ce les asticots dont il naît ces gracieux papillons les avions.
            Je me demande pourquoi dans cette terminologie de l'aviation, si incertaine encore on n'a pas songé à rendre un hommage verbal à Icare. De son nom on aurait pu tirer des mots. Il le méritait cet ancêtre incontestable des aviateurs Elie Elisée Simon le Magicien aussi !
            Et toi je t'adore, je te prends nue comme une perle et te dévore de baisers partout des pieds jusqu'à la tête et évanouis-toi d'amour, mon amour adoré, dont je mange la bouche et les beaux seins qui m'appartiennent et jouissent infiniment gonflés de volupté. 

                                                                                                                         
                                                                                                              Gui                                                                                                       


                                                                 Le Palais du Tonnerre
                                                             ( écrit au verso d'une couverture de Résurrection )

           Par l'issue ouverte sur le boyau dans la craie
          En regardant la paroi adverse qui semble en nougat
          On voit à gauche et à droite fuit l'humide couloir désert
          Où meurt étendue une pelle à la face effrayante à deux yeux réglementaires
          Qui servent à l'attacher sous les caissons
          Un rat s'y avance en hâte et se recule en hâte
          Et le boyau s'en va couronné de craie semée de branches
          Comme un fantôme creux qui met du vide où il passe blanchâtre
          Et là-haut le toit est bleu et couvre bien le regard fermé par quelques lignes droites
          Mais en deçà de l'issue c'est le palais bien nouveau et qui paraît ancien
          Le plafond est fait de traverses de chemin de fer
          Entre lesquelles il y a des morceaux de craie et des touffes d'aiguilles de sapin
          Et de temps en temps des morceaux de craie tombent comme des morceaux de vieillesse
          A côté de l'issue que ferme un tissu lâche qui sert généralement aux emballages
          Il y a un trou qui sert d'âtre et ce qui y brûle est un feu semblable à l'âme
          Tant il tourbillonne tant il est inséparable de ce qu'il dévore et fugitif
          Les fils de fer se tendent partout se servant de sommiers supportant des planches
          Ils forment aussi des crochets et l'on y suspend mille choses
          Comme on fait à la mémoire
          Des musettes bleues des casques bleus des cravates bleues des vareuses bleues
          Morceaux de ciel tissus des souvenirs les plus purs
          Et il stagne parfois de vagues nuages de craie
          Sur la planche des fusées détonateurs joyaux dorés à tête émaillée
          Noirs blancs rouges
          Funambules qui attendent leur tout de monter sur les fils de fer
          Qui font un ornement mince et élégant à cette demeure souterraine
          Ornée de six lits placés en fer à cheval
          Six livres couverts de riches manteaux bleus
          Sur le palais il y a un haut tumulus de craie
          Et des plaques de tôle ondulée qui sont le fleuve figé de ce domaine idéal
          Sans eau car ici il ne coule que le feu jailli de la mélinite
          Le parc aux fleurs de fulminate jaillit des troncs penchés
          Tas de cloches au doux son de douilles rutilantes
          Sapins élégants et petits comme en un paysage japonais
          Le palais s'éclaire parfois d'une bougie petite comme une souris
          Ô palais minuscule comme si on te regardait par le gros bout d'une lunette
          Petit palais où tout s'assourdit
          Petit palais où tout est neuf, rien d'ancien
          Et où tout est précieux où tout le monde est vêtu comme un roi
          Ma selle est dans un coin à cheval sur une caisse
          Un journal du jour traîne par terre
          Et tout y paraît vieux cependant
          Si bien qu'on comprend que l'amour de l'antique
          Le goût de l'anticaille
          Soit venu aux hommes dès le temps des cavernes
          Tout y était si précieux et si neuf
          Tout y est si précieux et si neuf
          Qu'une chose plus ancienne ou qui a déjà servi apparaît
                              Plus précieuse
          Que ce qu'on a sous la main
          Dans un palais souterrain creusé dans la craie si blanche et si neuve
          Et deux marches neuves elles n'ont pas deux semaines
          Sont si vieilles dans ce palais qui semble antique sans imiter l'antique
          Qu'on voit que ce qu'il y a de plus simple de plus neuf est ce qui est
                 Le plus près de ce que l'on appelle la beauté antique
          Et ce qui est surchargé d'ornements
          Ce qui a des ornements qui ne sont pas nécessaires
          A besoin de vieillir pour avoir la beauté qu'on appelle antique
          Et qui est la noblesse la force, l'ardeur,l'âme, l'usure
          De ce qui est neuf et qui sert
          Surtout si cela est simple simple
          Aussi simple que le petit palais du tonnerre
         



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