vendredi 27 novembre 2015

Lettres Parisiennes Emile Zola ( Nouvelle France )

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                                                      Lettres Parisiennes

                                    Chronique parue le 4 mai 1872 dans La Cloche quelques jours après avoir cessé les comptes                 rendus parlementaires.

            C'est toi, mon Paris, mon grand et beau Paris, que je veux d'abord saluer. Je reviens d'une ville lointaine où j'ai vu des hommes noirs dans une salle rouge disputer sans fin au chevet d'une malade ; je reviens d'un pays barbare, mélancolique comme un cimetière, où les hommes atteints du fléau monarchique se sont mis d'eux-mêmes en quarantaine ; et, pareil à un voyageur pressé qui ne prend pas le temps de défaire ses malles, je descends dans les rues, j'ai hâte de sentir sous mes talons ton pavé sublime.
            Tu es la patrie. C'est dans tes rues qu'on est vraiment la France. Ceux qui te nient attendent la nuit pour jouir de toi, et, comme les dévotes allant à l'amour, mettent un faux nez et choisissent les portes les plus basses. Moi, je t'aime au grand soleil.
            J'arrive par une matinée de printemps. C'est à huit heures du matin, en mai, qu'il faut te voir, lorsque le gai soleil met des pans de blonde lumière sur les façades, lorsque la vie de la rue est toute jeune et toute fraîche encore du repos de la nuit.Ton réveil a des naïvetés et des grâces d'enfant. Est-ce que, vraiment, tu as été le sombre Paris dont les édifices flambaient comme des torches ? Est-ce que tu as commis ces fautes qui ont fait pleurer la patrie ? On ne sait plus. Tu n'es aujourd'hui qu'un bon garçon travailleur. Tu as retrouvé ton esprit et ton coeur.
            Et sait-on, d'ailleurs, dans quel fumier tu plantes les arbres de liberté ? Peut-être tout ce sang, toutes ces ruines seront-ils le terrain de quelque floraison splendide. Mon Paris, mon grand et beau Paris, je salue la résurrection de ton éternelle jeunesse aux premières tiédeurs du printemps.
Afficher l'image d'origine            Je suis allé devant moi dans tes rues, sur tes places publiques, en homme qui a besoin de respirer tes souffles, d'assister à ton labeur géant. Et je n'ai fait que cela toute la journée, je n'ai vu que toi. Je ne sais rien aujourd'hui, si ce n'est que Paris est toujours à sa place, avec son grondement formidable, sa beauté douce et grandiose. Cela me suffit, cela m'emplit le coeur.
            Je finissais par douter à Versailles. On me disait que tu étais
moribond, que ta grande machine était détraquée, que tes femmes devenaient laides, et qu'on ne rencontrait plus sur tes promenades que la faillite donnant la main au crime. Tu étais une ville perdue que les hommes graves désavouaient comme une maîtresse vieillie. On pouvait encore te voir entre chien et loup ; mais il était tout à fait de mauvais ton de t'avouer en public, au grand jour.
            Ah ! les vieux roués, les rôdeurs d'alcôves ! Si je les rencontre jamais un soir, je les clouerai sur quelque porte, comme des chouettes, pour que le soleil les trouve là, au milieu de ta gaieté du matin. Et, d'ailleurs, à quoi bon ? S'ils revenaient au quai d'Orsay, ils assombriraient tout l'horizon ; la Seine serait trouble, les feuilles des arbres sécheraient, et c'est alors que les femmes deviendraient laides, à les voir si vieux et si laids.
            Je n'ai pas quitté Versailles pour les retrouver chez toi.
            On fait ta toilette de printemps. J'ai vu des fleurs partout. Les Champs Elysées, où, l'année dernière, sifflaient les balles, sont à cette heure un nid de verdure. Les feuilles ont caché toutes les plaies ; les grappes de marronniers recouvrent les meurtrissures des branches ; et, à terre, à chaque endroit où s'est enfoui un obus, il est poussé des roses.                                                                      abcvoyage.com
Afficher l'image d'origine            A trois heures, lorsque les Champs Elysées vivent, c'est tout ton coeur qui s'épanouit d'aise. Il est peut-être des promenades plus majestueuses, il n'en est pas de plus amoureuses ni de plus tendres. L'empire l'a un peu gâtée en en faisant la foire des vanités. C'est un salon d'été où les dames marchent comme sur les tapis de leurs boudoirs.
            Les dames essayent les modes nouvelles. Elles sont étonnées que la République ait d'aussi beaux arbres et d'aussi vertes pelouses. Demain, si on les laisse se décolleter de deux doigts, elles seront républicaines. Leur grande affaire, c'est de vivre à Athènes et non à Sparte.
            Ce beau monde, hier, se moquait absolument des graves nouvelles qui couraient. De l'empire, ce que le beau monde regrette, ce n'est ni les faces louches des Tuileries, ni les virginités immaculées des Bazaine et des Rouher. Ce qu'il regrette, c'est la vie facile, le contentement paisible des appétits, les fortunes gagnées et surtout les fortunes mangées. Mais que les Champs Elysées soient en fête, que le printemps y donne sa première représentation, et l'on pourra faire passer Bazaine devant un conseil de guerre, prendre la main de Rouher dans quelque aventure équivoque, annoncer que Bonaparte et Guillaume sont allés se réconcilier dans le cercle infernal où Dante flagelle les tueurs de peuple. Le beau monde sourit à la république, qui a le même printemps que l'empire.
            J'ai bu tant de soleil que je me sens un peu gris. Il est prudent que je cuve cette première ivresse de Paris.
Afficher l'image d'origine            Il faut dire que j'avais tout les bonheurs. J'arrivais trop tard pour assister à la séance de l'Académie. Quand j'ai passé devant l'Institut, flânant sur les quais, regardant les chalands qui descendaient la rivière, je n'ai pu m'empêcher de songer à ce pauvre Prévost-Paradol que M. d'Haussonville et M. Rousset enterraient, à l'heure même, sous des fleurs de rhétorique. A tour de rôle, ils ont tenté de faire revivre la figure complexe de l'élève de M. Guizot, et ils n'ont réussi qu'à tracer un profil menteur où la ligne académique a tué la vie.
           Prévost-Paradol n'était pas l'homme blême et rigide dont la foule a pu entrevoir le masque. Au fond, c'était un épicurien et un sceptique. L'Ecole normale, tout en le déguisant de pédantisme, lui avait donné les doutes et les fièvre de la génération. Entré en pension chez M. Guizot, il dut prendre la cravate blanche, l'habit et les gants de l'uniforme. Il devint morne et dogmatique. Mais que d'écoles buissonnières ! Toutes les équipées amoureuses du XVIIIe  siècle chantaient dans sa tête, et il rêvait des impures philosophes pour aller continuer chez elles les cours de M. Guizot. Comme la race des impures philosophes s'en est allée avec celle des carlins, il se contentait des bonnes filles de notre temps.
Résultat de recherche d'images pour "Paris 1900 dessins"            J'ai toujours cru qu'il faisait des chansons tendres dans le silence du cabinet. Il s'enfermait à double tour et se déguisait en berger. Et quand le scepticisme le poussant, désespéré de s'être lié au cadavre de la vieille école parlementaire, il eut commis la faute d'accepter un cadeau de l'empire, il alla mourir en Amérique du regret de sa vie manquée. Sa mort tragique jette un jour subit sur cette figure pâle que l'on croyait endormie et qui était profondément troublée. C'était une âme malade, une âme de ce temps que toutes les drogues calmantes du parti orléaniste n'avaient pu apaiser. Il s'était trompé de porte en frappant chez M. Guizot. Les homme de 1830, les amis des princes ne se suicident pas quand ils ont eu le tort d'accepter une place ; ils en demandent une autre et se consolent de la         closdesvolontaires.blog.lemonde.fr                première avec la seconde.
            J'ai pris possession de Paris, je me sens chez moi, et je ne me griserai plus de soleil. A demain mes lettres sérieuses.



                                                                                           Emile Zola


                                                           


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