samedi 17 mars 2018

Nïuits blanches 2 ( extraits ) Dostoïevski ( Nouvelle Russie )


Résultat de recherche d'images pour "magritte"



                                       







arthouse-online.nl/fr



                                                       Nuits blanches ( II )  - extraits -
                                                           Roman sentimental
                                         
                                                    Souvenirs d'un rêveur

             - Eh bien, ils ont passé, cette nuit et ce jouir ! me dit-elle en riant et en me serrant les deux mains.
            - Voilà deux heures que je suis ici. Vous ne savez pas comment j'ai vécu cette journée !
            - Je sais, je sais... mais, au fait ! Vous savez pourquoi je suis venue ? Bien sûr, pas pour bavarder sottement comme hier. Voilà : il nous faut dorénavant nous conduire plus intelligemment. J'ai pensé longuement à tout cela hier.
            - En quoi donc, en quoi plus intelligemment ? Pour ma part, je suis prêt. Mais, vraiment, de ma vie il ne m'est rien arrivé de plus intelligent que ce qui m'arrive maintenant.
            - Vraiment ? D'abord, je vous en prie, ne me serrez pas les mains comme ça. Ensuite je vous annonce que j'ai longuement réfléchi à votre sujet aujourd'hui.
           - Et alors, comment ça a-t-il fini ?
           - Fini ? Ça a fini par ceci qu'il faut recommencer depuis le début, parce que, en conclusion de tout, j'ai décidé aujourd'hui que vous m'êtes encore parfaitement inconnu, que j'ai agi hier comme une enfant, comme une fillette et, comme de juste, j'ai abouti à ceci que la faute en est à mon bon coeur. Bref, j'ai fait mon éloge, comme il arrive toujours en fin de compte quand nous entreprenons de nous examiner. Aussi, pour réparer mon erreur, j'ai décidé de me renseigner sur vous de la façon la plus détaillée. Mais, comme je n'ai personne pour me renseigner, c'est vous qui devrez vous-même me raconter tout, tout ce que vous avez dans le ventre. Allons, quelle sorte d'homme êtes-vous ? Vite, commencez, racontez votre histoire !
            - Mon histoire ? m'écriai-je effrayé. Mon histoire ! Mais qui vous a dit que j'avais une histoire
Je n'ai pas d'histoire...
            - Alors, comment avez-vous vécu, si vous n'avez pas d'histoire ? m'interrompit-elle en riant.
            - Absolument sans la moindre histoire ! comme ça, j'ai vécu, comme on dit chez nous, dans mon trou, c'est-à-dire seul, absolument seul, parfaitement seul... Vous comprenez ce que ça veut dire : seul ?
            - Comment cela, seul ? C'est-à-dire que vous ne voyez jamais personne.
            - Oh  non ! pour ce qui est de voir des gens, je les vois, et pourtant je suis seul.
            - Alors, vous ne parlez à personne ?                                                                                 
            - Au sens strict du mot, à personne.                                                           hound-studio.com
Résultat de recherche d'images pour "magritte"            - Mais, qui donc êtes-vous ? Expliquez-vous ! Attendez, je devine. Vous avez sûrement une grand-mère, comme moi. Elle est aveugle et voilà une éternité qu'elle ne me laisse plus aller nulle part, au point que j'ai presque désappris à parler. Quand j'ai fait une sottise, il y a deux ans, elle a vu qu'on ne pouvait pas me retenir, elle m'a prise, m'a appelée près d'elle et a épinglé ma robe à la sienne. Et comme ça, depuis lors, nous passons des journées entières : elle tricote un bas, tout aveugle qu'elle est, et moi je dois rester assise près d'elle, à coudre ou à lui faire la lecture. C'est une drôle d'habitude d'être épinglée depuis deux ans déjà...
            - Ah ! mon Dieu, quel malheur ! Mais non, moi je n'ai pas de grand-mère comme ça.
            - Dans ce cas, comment pouvez-vous rester à la maison .
            - Écoutez, vous voulez savoir qui je suis ?
            - Eh bien, oui... oui !
            - Au sens strict du mot ?
            - Au sens le plus strict du mot !
            - Soyez exaucée : je suis... un type.
            - Un type, un type ! quelle sorte de type ? s'écria la jeune fille en riant si fort qu'on aurait dit qu'elle n'avait pas ri d'une année. Ce qu'on s'amuse avec vous ! Regardez, il y ici un banc, asseyons-nous. Personne ne passe par ici, personne ne nous entendra et... commencez vite votre histoire ! car, vous ne me ferez pas croire le contraire, vous avez une histoire, seulement vous vous cachez. D'abord, qu'est-ce qu'un type ?
            - Un type ? Un type c'est un original, c'est un drôle d'individu, répondis-je en éclatant d'un rire qui faisait suite à son rire d'enfant. C'est un caractère comme ça. Écoutez-moi : savez-vous ce que c'est qu'un " rêveur " ,
            - Un " un rêveur " ! permettez mais, comment ne pas le savoir ? Moi-même je suis une rêveuse ! Des fois, quand je suis assise à côté de grand-mère, qu'est-ce qui ne me vient pas en tête ? Tenez, vous vous mettez à rêver, et vous n'arrêtez plus... tenez, j'épouse tout bonnement un prince chinois... C'est que, des fois, ça fait du bien de rêver ! Au fait, non... qui sait ?  surtout si on a déjà sans ça de quoi penser... ajouta-t-elle cette fois assez sérieusement.
            - Parfait ! Si vous avez déjà épousé un jour l'Empereur de Chine alors, vous allez me comprendre à merveille. Écoutez donc... Mais permettez, je ne sais pas encore votre nom !
            - Enfin ! vous avez mis le temps !
            - Ah ! mon Dieu ! mais l'idée ne m'est pas venue, je m'en passais très bien...
            - On m'appelle Nastenka.
            - Nastenka !... et c'est tout ?
            - C'est tout ! Est-ce que ça ne vous suffit pas, insatiable que vous êtes ?
            - Si, ça me suffit ! C'est beaucoup, beaucoup, au contraire, vraiment beaucoup, Nastenka ! Vous êtes une très bonne fille, puisque du premier coup vous êtes devenue pour moi Nastenka !
            - N'est-ce pas ? Alors ?
            - Alors, voilà Nastenka, écoutez donc comme mon histoire est drôle.
            Je me suis assis auprès d'elle, j'ai pris une pose d'un sérieux étudié, et j'ai commencé comme si je lisais dans un livre :
            " Il y a, si vous ne le savez pas Nastenka, il y a à Petersbourg d'assez étranges coins. Dans ces endroits-là ne pénètre pas, dirait-on, le soleil qui luit pour tous les autres habitants de Petersbourg : celui qui y pénètre est un autre, un nouveau soleil commandé exprès pour ces coins-là et qui éclaire tout d'une autre lumière, spéciale. Dans ces coins-là, ma chère Nastenska, se mène une vie tout autre, qui ne ressemble pas à celle qui bouillonne à côté de nous, mais qui peut se passer dans un monde inconnu, et non chez nous, à notre époque sérieuse, ultra-sérieuse. Cette vie est un mélange de quelque chose de purement fantastique, de furieusement idéal, et en même temps, hélas Nastenka, de platement prosaïque et ordinaire, pour ne pas dire invraisemblablement vulgaire.
                                                                  - Ouf ! Seigneur mon Dieu, quelle préface. Qu'est-ce que je  clemaroundthecorner.co                                 vais entendre ?
Résultat de recherche d'images pour "magritte"            - Vous allez entendre, Nastenka ( il me semble que je ne me lasserai jamais de vous appeler Nastenka ), vous allez entendre que dans ces coins habitent des êtres étranges : " les rêveurs ". Le rêveur, s'il faut le définir en détail, n'est pas un homme mais, savez-vous ? une espèce de créature du genre neutre. Il gîte la plupart du temps quelque part dans un coin inaccessible, comme s'il s'y cachait même de la lumière du jour et, une fois retiré chez lui il est collé à son coin comme l'escargot; ou du moins il ressemble beaucoup, à cet égard, à ce curieux animal qui est à la fois animal et maison et qui s'appelle la tortue. A votre idée pourquoi aime-t-il tellement ses quatre murs, peints obligatoirement de couleur verte, sales, tristes et enfumés de tabac, comme il n'est pas permis ? Pourquoi ce monsieur ridicule, lors d'une rare visite de l'une de ses connaissances ( il fait si bien que finalement elles disparaissent toutes ) pourquoi cet homme l'accueille-t-il avec autant d'embarras, autant de trouble sur le visage et de confusion que s'il venait de commettre un crime, là, entre ses quatre murs, que si à ce moment-là il fabriquait de faux billets................ ? Pourquoi, dîtes-moi Nastenka, la conversation a-t-elle tant de mal à s'engager entre ces deux interlocuteurs ? pourquoi aucun rire, aucun mot piquant ne surgit-il chez cet ami soudainement entré et intrigué qui, en toute autre circonstance aime tant le rire et les mots piquants et les discours sur le beau sexe et les autres sujets plaisants ? Pourquoi donc enfin cet ami, vraisemblablement une connaissance de fraîche date,.............., pourquoi ce visiteur est-il si troublé, si refroidi avec tout son esprit, si seulement il en a, à voir la mine renversée de son hôte, à son tour maintenant complètement éperdu et démuni de son dernier grain de bon sens après ses efforts gigantesques mais vains pour aplanir et orner la conversation, montrer lui aussi son habitude du monde, parler aussi du beau sexe et, du moins par cette soumission, plaire au pauvre homme fourvoyé, tombé par erreur chez lui ? Pourquoi, enfin, le visiteur saisit-il soudain son chapeau et s'en va-t-il rapidement, se souvenant tout à coup d'une affaire absolument inévitable, qui n'a jamais existé, et libère-t-il tant bien que mal sa main des chaudes étreintes de son hôte acharné à manifester son regret et à regagner le temps perdu ? Pourquoi, en partant, l'ami a-t-il un gros rire dès la porte passée et se promet-il à lui-même de ne plus jamais revenir chez cet original, bien que cet original soit au fond un excellent garçon, et en même temps est-il incapable de refuser à son imagination une petite fantaisie : comparer, ne fût-ce que de loin, la physionomie de son interlocuteur pendant l'entrevue avec l'aspect de ce malheureux petit chat chiffonné, épouvanté, torturé de toutes façons par les enfants qui l'ont fait prisonnier, traîtreusement, et qui, confus au possible, les fuit enfin sous la table dans l'obscurité et là, tout à loisir, durant une bonne heure, doit se hérisser, s'ébrouer et laver avec ses deux pattes son petit museau offensé, et ensuite, d'un oeil hostile regarder longuement la nature et la vie et même les bribes du repas des maîtres que lui a gardées une compatissante cuisinière ?
            - Écoutez un peu, interrompit Nastenka qui tout le temps m'écoutait avec étonnement, yeux et bouche bées, écoutez : je ne sais pas du tout pourquoi tout cela est arrivé et pourquoi vous me posez à moi d'aussi drôles de questions. Mais ce que je sais bien, c'est que toutes ces aventures, c'est à vous qu'elles sont arrivées, de point en point.                              saint-petersburg.com
Résultat de recherche d'images pour "la fontaka"            - Sans aucun doute, répondis-je avec la mine la plus sérieuse.
            - Alors, si c'est sans aucun doute, continuez, car j'ai grande envie de connaître la fin.
            - Vous voulez savoir, Nastenka, ce qu'a fait dans son coin notre héros ou, pour mieux dire, ce que j'ai fait, puisque le héros de toute l'affaire, c'est moi, ma propre et modeste personne. Vous voulez savoir pourquoi j'ai été ainsi bouleversé et éperdu toute la journée après la visite inattendue de mon ami ? Vous voulez savoir pourquoi j'ai volé, j'ai rougi ainsi quand on a ouvert la porte de ma chambre, pourquoi je n'ai pas su recevoir mon hôte et j'ai si honteusement succombé aux poids de ma propre hospitalité ?
            - Eh bien oui, oui ! répondit Nastenka, c'est là toute l'affaire. Écoutez, vous racontez très bien
mais n'y aurait-il pas moyen de raconter un peu moins bien ? Autrement, quand vous parlez, on dirait que vous lisez dans un livre.
            - Nastenka ! répondis-je d'une voix grave et sévère en me retenant avec peine de rire, ma chère Nastenka, je le sais que je raconte bien mais, pardonnez-moi, je ne sais pas raconter autrement. En ce moment, ma chère Nastenka, en ce moment je ressemble à l'esprit du roi Salomon qui fut mille ans dans une amphore sous sept sceaux et qui, enfin, fut libéré de ces sceaux. En ce moment, ma chère Nastenka, où nous voilà de nouveau réunis après une si longue séparation, car je vous connaissais déjà, depuis longtemps, déjà je cherchais une certaine personne, et cela signifie que je vous cherchais, vous, et que nous étions destinés à nous revoir maintenant, en ce moment se sont ouvertes dans ma tête des milliers de soupapes et je dois laisser les paroles se déverser à flots, sinon j'étoufferai. Ainsi, je vous prie de ne pas m'interrompre, Nastenka, mais d'écouter avec soumission et docilité, autrement je me tairai.
            - Non,  non, non ! Je ne veux pas ! Parlez ! A partir de maintenant je ne dirai plus un mot.
            - Je continue. Nastenka, mon amie, il y a dans ma journée une heure que j'aime extraordinairement. C'est celle où se terminent presque toutes les affaires, fonctions et obligations et où tout le monde se dépêche de rentrer dîner ou se reposer et en même temps, en chemin imagine encore d'autres sujets de joie pour la soirée, la nuit et tout le temps qui reste libre. A cette heure-là notre héros aussi.........., qui n'est pas non plus sans occupation, suit les autres. Mais une bizarre sensation de contentement recouvre son visage pâle, comme légèrement flétri.Il n'est pas indifférent, au coucher du soleil qui lentement s'éteint sur le ciel froid de Petersbourg. Si je disais qu'il le regarde, je mentirais. Il ne le regarde pas, il le contemple sans s'en rendre compte, comme un homme fatigué ou occupé à un objet plus intéressant...............Il est satisfait parce qu'il en a fini jusqu'au lendemain
avec des affaires ennuyeuses et content comme un écolier qu'on a renvoyé des bancs de l'école à ses jeux et polissonneries favorites.
            Regardez-le de côté, Nastenka, vous verrez tout de suite que ce sentiment de joie a déjà heureusement agi sur ses faibles nerfs et sur son imagination maladivement excitée. Tenez, il réfléchit à quelque chose... Vous pensez à son dîner ? à la soirée d'aujourd'hui ? Que regarde-t-il ainsi ? Est-ce ce monsieur grave qui a salué si pittoresquement une dame qui l'a dépassé, dans son fringant attelage, dans sa brillante calèche ? Non, Nastenka, qu'a-t-il à faire maintenant de toutes ces misères ? Il est à présent riche de sa vie personnelle. Il est soudain devenu riche et le rayon d'adieu du soleil qui s'éteint n'a pas inutilement brillé si joyeusement devant lui et fait surgir de son coeur réchauffé tout un essaim d'impressions. Maintenant la déesse Fantaisie a tissé de sa main capricieuse sa trame d'or et a développé devant lui les arabesques d'une vie merveilleuse, inouïe............ Essayez de l'arrêter, demandez-lui tout d'un coup où il est en ce moment, par quelles ruses il a passé, j'en suis sûr, il ne se rappellera rien, ni où il a été, ni où il était à l'instant et, rougissant de dépit, il inventera n'importequoi    wikiart.org                                              pour sauver les convenances.
Résultat de recherche d'images pour "magritte"            Voilà pourquoi il a ainsi tressailli, crié presque et regardé autour de lui avec épouvante quand une très respectable vieille l'a poliment arrêté au milieu du trottoir et lui a poliment demandé son chemin. Les sourcils froncés de dépit il continue sa route, remarquant à peine que plus d'un passant a souri en le regardant et s'est retourné derrière lui et qu'une petite fille, après lui avoir peureusement cédé le pas s'est bruyamment esclaffée en regardant de tous ses yeux son large sourire contemplatif et les gestes de ses bras. Mais c'est toujours la même Fantaisie qui a emporté....... les hommes qui soupent dans leurs barques dont la Fontanka est obstruée........ elle a tout enveloppé malicieusement dans son canevas et........ l'original est enfin rentré chez lui, dans son terrier aimé, s'est mis à table, a depuis longtemps fini de dîner et a repris ses sens seulement quand la pensive et éternellement affligée Matriona, qui le sert, a déjà levé le couvert et lui a tendu sa pipe. Il a repris ses sens et, avec étonnement, s'est souvenu qu'il a complètement fini son dîner, sans avoir aucunement remarqué comment cela s'est fait.
            Dans la pièce l'obscurité est tombée, son âme est vide et triste. Tout un royaume de rêveries s'est écroulé autour de lui, écroulé sans traces, sans bruit ni fracas, a passé comme un songe, et lui ne se souvient de rien. Mais une obscure sensation qui endolorit et émeut légèrement sa poitrine, un nouveau désir séduit, chatouille et irrite son imagination et suscite furtivement un essaim de nouveaux fantômes. Silence dans la chambre exiguë où la solitude et la paresse flattent l'imagination .......... Le livre pris sans but, au hasard, tombe des mains de mon rêveur...... Son imagination est de nouveau remontée, excitée............ Nouveau songe, nouveau bonheur ! Nouvelle prise d'un poison délicieux, raffiné ! Oh ! que lui fait notre vie réelle ? A son regard séduit vous et moi, Nastenka, nous vivons d'une vie si paresseuse, si lente, si lâche, à ses yeux nous sommes tous si mécontents de notre sort, si las de notre existence !........ " Les pauvres gens ! pense mon rêveur "...........Vous demanderez peut-être à quoi il rêve ? A quoi bon le demander ? Mais à tout... au rôle du poète d'abord méconnu puis couronné.............
            Non, Nastenka, que lui fait à lui,lui paresseux voluptueux, cette vie à laquelle nous aspirons tellement, vous et moi ? Il pense que c'est une pauvre vie misérable, sans deviner que pour lui aussi, peut-être, un jour, sonnera l'heure chagrine où pour un seul jour de cette vie misérable il donnera toutes ses années fantastiques.......... Mais tandis qu'il n'est pas encore arrivé ce temps redoutable il ne désire rien, car il est au-delà du désir, car il a tout avec lui, il est saturé, car il est lui-même l'artiste de sa vie et il la crée à chaque instant selon sa nouvelle fantaisie......... Vraiment, on est prêt à croire, à certains moments que toute cette vie n'est pas une excitation des sens, un mirage, une tromperie de l'imagination, mais quelque chose de réel, de vrai, d'existant !.........
            Oui, Nastenka, on se trompe et malgré soi on croit, du dehors, que la passion véritable, authentique trouble l'âme, on croit malgré soi qu'il y a quelque chose de vivant, de tangible dans des rêves immatériels ! Mais quelle illusion......... Le croirez-vous, ma chère Nastenka, à le regarder, qu'il n'a jamais réellement connu celle qu'il a tant aimée dans son rêve exalté ?..................
            Oh ! avouez-le, ma chère Nastenka, on peut s'envoler, se troubler et rougir comme un écolier qui vient de fourrer dans sa poche la pomme volée dans le jardin voisin...............
            Pathétiquement je me tus, ayant terminé mes pathétiques exclamations. Je m'en souviens, j'avais une envie terrible de rire aux éclats, n'importe comment, démesurément, parce que je sentais bien que s'était levé chez moi un diablotin ennemi, que ma gorge commençait à être prise et mon menton à trembler et que, de plus en plus, mes yeux se mouillaient... J'espérais que Nastenka qui m'écoutait, ses petits yeux intelligents grands ouverts, allait rire de tout son rire enfantin irrésistiblement gai, et déjà je me repentais d'être allé trop loin, d'avoir en vain raconté ce qui depuis longtemps me gonflait le coeur, ce dont je ne pouvais parler comme on lit un livre, parce que de longue date ma sentence sur moi-même était prête......... Mais, à ma stupéfaction elle garda le silence, laissa passer un moment, me serra légèrement la main et avec une sympathie timide me demanda :
            - Est-ce que, vraiment, vous avez passé ainsi toute votre vie ?
            - Toute ma vie, Nastenka ! répondis-je, toute ma vie, et je crois bien que je la finirai de même!
            - Non, c'est impossible, dit-elle avec tranquillité, cela ne sera pas. C'est plutôt moi qui de cette façon-là passerai la mienne auprès de grand-mère. Écoutez-moi, mais savez-vous que ce n'est pas         les-chats-du-musee-de-lermitage                    bien du tout que de   vivre comme ça ?                                                                                                                                         
Résultat de recherche d'images pour "saint petersbourg quartiers à éviter"            - Je sais, Nastenka, je sais ! m'écriai-je sans plus retenir mon sentiment. Et maintenant je sais mieux que jamais que j'ai perdu en pure perte toutes mes meilleures années.......... Maintenant que je suis assis auprès de vous et que je vous parle, j'ai peur de penser à l'avenir, car dans l'avenir c'est encore la solitude, encore cette vie inutile, enfermée... et à quoi pourrai-je encore rêver quand, éveillé, à côté de vous, j'ai été si heureux. ! Oh ! soyez bénie, ma chère enfant, pour ne pas m'avoir repoussé du premier coup, pour m'avoir permis de dire aujourd'hui que j'ai vécu au moins deux soirées dans ma vie !
            - Oh ! non, non ! s'écria Nastenka, et de petites larmes brillèrent dans ses yeux. Non, cela n'arrivera plus. Nous ne nous séparerons pas ainsi. Qu'est-ce que deux soirées ?
.          - Oh ! Nastenka, Nastenka ! savez-vous que vous m'avez pour longtemps réconcilié avec moi-même ? Savez-vous que je n'aurai plus de moi-même aussi mauvaise opinion......... J'ai parfois des minutes d'un tel désespoir, d'un tel ennui............parce qu'enfin je me suis maudit moi-même, parce qu'après mes nuits fantastiques, j'ai des moments de dégrisement qui sont effrayants.................
            Vous sentez qu'à la fin elle se fatigue, s'épuise dans une perpétuelle tension, cette inépuisable fantaisie, parce que vous grandissez, vous dépassez votre idéal ancien............ Et cependant c'est quelque chose d'autre que l'âme demande et réclame !
            Et vainement le rêveur fouille dans la cendre de ses vieilles rêveries, cherche dans cette cendre au moins quelque étincelle pour souffler dessus et d'un feu nouveau réchauffer son coeur refroidi............... même les rêves naissent de la vie, n'est-il pas vrai ?............
            Qu'as-tu donc fait de tes années ? où as-tu enterré ton meilleur temps ? As-tu vécu oui ou    non ? Regarde, vous dîtes-vous, regarde comme ce monde se fait froid.............. tout ce que vous avez perdu, cela n'était rien , un zéro bête et parfait, tout cela n'était qu'un rêve !
            - Allons, ne m'apitoyez pas davantage ! prononça Nastenka en essuyant une petite larme..........
Maintenant je vous connais tout à fait, je vous connais tout entier. Et savez-vous une chose ? Je veux vous raconter mon histoire à moi aussi, sans rien cacher, après quoi, en retour, vous me donnerez un conseil.
            - Ah ! Nastenka, répondis-je, je n'ai jamais été le conseiller de personne........... Alors, ma gentille Nastenka, quel est donc ce conseil ? Dîtes-le moi franchement. Maintenant je suis si gai, si heureux, si hardi, si intelligent que les mots me viendront sans peine...............
            - Votre main !
            - La voici ! répondis-je en lui tendant la main.
            - Ainsi, commençons mon histoire !



                                                                                Dostoïevski

                                                                       à suivre................

                                                  Récit de Nastenka

            La moitié de..............

                                                                                 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire