Affichage des articles dont le libellé est Correspondance Apollinaire 6. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Correspondance Apollinaire 6. Afficher tous les articles

samedi 11 février 2012

Lettres à Madeleine 6 Apollinaire

                            Lettre à Madeleine
                            ( cette lettre suit une courte carte datée du 30 juin,dans laquelle Apollinaire indique l'adresse de son nouveau campement )

                                                                                                 1er juillet 1915

                           Ma chère fée, je vous écris parmi l'horrible horreur de millions de grosses mouches bleues. Nous sommes tombés dans un lieu sinistre où à toutes les horreurs de la guerre, l'horreur du site, l'abondance épouvantable des cimetières se joignent la privation d'arbres, d'eau, de véritable terre même. Si nous restons longtemps ici, je me demande ce que nous deviendrons hors la mort par les instruments guerriers. Après plusieurs jours d'un beau voyage à cheval et de couchage très supportable par terre nous voici dans des trous infects, au point qu'y étant d'y penser j'ai envie de vomir avec ça les fatigues car tout est si éloigné que le travail des hommes et des chevaux est centuplé. Voilà pour moi. Mais tant mieux si cela doit être utile. J'ai eu votre lettre qui demandait des renseignements sur des bagues à notre 1er bivouac, qui fut la ferme du Piémont dont parlèrent les communiqués, j'y ai répondu de suite dans la pestilence du lieu. J'ajoute qu'en effet la plaque de cuivre où de bronze enchassée comme nous faisons est une spécialité de la 45è batterie du 38 où se font, dit-on les plus belles bagues du front, je n'ai eu que la peine d'apprendre à les faire. Mais il y a ici de véritables artistes - J'ai fait mon possible pour simplifier la syntaxe poétique et j'ai réussi en certains cas, notamment un poème " Les Fenêtres ", paru dans Poème et Drame puis à part dans une grande publication qui était aussi un catalogue de l'oeuvre d'un peintre. Mais maintenant je n'aime plus seulement l'impressionnisme même en art, c'est informe, si lointain, passé surtout, surtout en art. Il ne faut pas oublier qu'un de mes principaux livre s'appelle Les Peintres cubistes mais le langage et le style épistolaire auraient en effet besoin de passer par cette phase impressionniste mais s'il s'agit de vitesse, de raccourci, le style télégraphique nous offre des ressources auxquelles l'ellipse donnera une force et une saveur merveilleusement lyriques. - Alors j'attends que vous vous essayiez et que me disiez enfin même en style télégraphique et elliptique ce que je souhaite savoir ou agréable ou désagréable. Êtes-vous si fière que cela vous paraisse humiliant à dire en cas où je dusse être content ? Et au cas contraire, me devez-vous laisser dans une incertitude qui augmente l'horreur des déserts les soldats se font ermites ? De cette gêne qui est en vous, il naît des épîtres littéraires et notre correspondance si gaie si vive au début s'en ressent. Laissez-vous aller dites la vérité quelle qu'elle soit, qu'il en doive naître ce qui sera, en faudrait-il mourir. Mais, non, je ne suis plus que votre poilu, c'est la mode de l'Algérie et moi qui pensais à Cervantès, me voici, simple brigadier, à faire platoniquement la cour à une jeune Oranaise que mes lettres vont distrayant.
                          Allons Madeleine, mettez-vous nue, l'âme, le corps et le coeur. Et après serez si contente d'être véridique. Car il ne s'agit point de me faire plaisir, il faut dire la vérité. C'est tout et si même elle allait à l'encontre de mon rêve.
                          Sous l'influence du siroco, dites-vous, vous avez l'impression de devenir manche à balai. Eh bien! sur ce manche à balai que vous êtes devenue vous devriez bien faire chevaucher jusqu'à moi la jolie sorcière que vous êtes en réalité, charmante petite fée, ou bien laissez-vous aller à m'écrire les bêtises que vous êtes tentée de m'écrire. J'aime beaucoup Musset, justement à cause de sa liberté. Mais que j'aime la fin de cette lettre, car vous commencez à vous laisser aller à dire comme vous pensez. J'espère que ma lettre de la prochaine fois sera plus gaie et peut-être plus libre aussi. Mais vite écrivez et long sans songer à bien écrire, sur vous surtout, je me fiche du reste, prenez n'importe quoi, votre pied, votre main parlez-m'en, mais profondément comme quelqu'un qui se flatte de plaire toujours et ne craint pas d'obéir sans cesse, puisque je veux qu'il en soit ainsi en-dehors des préjugés que vous invoquez. Et je me demande même de quels préjugés il peut bien s'agir - puisqu'il n'y a que nous deux en l'occurrence... Écrivez-moi Madeleine, longuement longuement, vos lettres me font ici un bien inouï. surtout ne faites plus la coquette, en ce moment et de loin comme ça, c'est de la dépravation et pas autre chose.

                                                                                                                            Gui