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jeudi 29 mars 2012

Lettres à Madeleine 25 Appolinaire


Lettre à Madeleine
coquelicots dans les champs
                                                                                                              24 septembre 1915

            Quand tu liras cette lettre souhaite que nous soyons loin dans les terres françaises. Nous partons demain en territoires occupés. On nous as monté les selles hier soir. Les paquetages sont prêts et les avant-trains sont munis de fascines pour le passage des tranchées. Je ne t'écris que ce matin 24 je n'ai pas écrit hier parce qu'un de mes amis simple sapeur projecteur mais dans le civil est secrétaire à légation de France en Chine. - ( En ce moment on me dit que nous partirons ce soir même pour les Vosges ? du côté de Remiremont ? ) Tout ça après tout on ne sait pas. En ce moment tout marche c'est fantastique comme orchestre. Des fantassins passant disent que chez les Boches aussi loin qu'on peut voir la terre est comme soulevée par les vagues. Moi je ne crois pas aux Vosges, je crois que ce sera devant nous demain.
           Je me suis interrompu pr lire à la pièce la proclamation qui sera bientôt aussi illustre que celle de la Marne, et nous reprenons le feu. Je t'écris pendant le tir et à chaque coup la lettre est couverte d'une fine poussière qui sèche l'encre. C'est très commode. Hier tu m'as envoyé tes yeux ma chérie, tes yeux merveilleux qui sont une merveilleuse artillerie... tes yeux d'extase
            Mon amour, tu partais le lendemain, tu es maintenant à Oran. Ma chérie, tes photos sont dans le porte-cartes, tout est prêt. Maintenant tu as aussi mes autres photos. Tu m'aimes admirablement, ma superbe Chimène. Mais tu as raison ni crime ni vice ne sont nécessaires à notre amour qui se suffit et englobe tout dans son unique vertu. Tu n'auras pas besoin d'être autre chose que la merveilleuse fille que tu es et la panthère n'aura besoin de se réveiller, mon adorable panthère que pour nos amours forcenées, frénétiques qui nous laisseront pantelants épuisés mais jamais rassasiés. Parle mieux ma chérie, tu as encore parfois peur de tout dire. Pourquoi ? J'adore tes mains et tout ton corps long et souple et tes cheveux sont mon extase.
            Moi aussi j'ai regardé longtemps tes yeux à la loupe. J'emporte sur moi l'adresse pour la Medjerda. Je cache mes yeux dans tes cheveux, dis toujours tout, mon amour. J'adore ta bouche et tes yeux changeants comme ton visage même et ma bouche a une soif infinie de se mouler à son moule.
            Qu'ai-je donc mentionné que tu ne saches pas et dont tu ne puisses parler parce que ça te trouble trop ?
            J'attends que tu me parles de L'Hérésiarque, m'amour ma rose mon lys et mon jasmin. Ta photo nouvelle te montre longue comme tu dis et que je ne savais pas encore car tes vêtements de voyage le dissimulaient et tes autres photos ne le montraient pas, surtout l'exquise longueur de ta jambe.

                    Panthère

            Oui, j'adore aussi notre liberté. Pardonne à mon style décousu mais je t'écris pendant le tir et je m'interromps à chaque instant pr changer les éléments du tir. Mon esclave chérie,il ne s'agit pas de vices du tout, il s'agit de notre amour, je ne souhaite que lui le plus grand, le plus varié possible et toi aussi, ô mon lys ingénu, tu ne souhaites que lui, laissons donc le mot vice de côté, nous n'aimons que nos vertus. Demain sans doute ne pourrais-je t'écrire qu'une carte. Qui sait d'où  ? ! Je t'aime tout entière de toutes mes forces c'est là notre vertu, la plus grande des vertus, l'unique vertu.
            Moi aussi il me tarde de faire de toi ma femme. Je suis comme un voyageur altéré dans le désert, il n'est pour moi qu'une oasis, c'est toi mon oasis.
            J'adore donc ta chère morsure, mon inventrice chérie.
            Il me tarde que ma panthère soit à moi, que ses rugissements ses bonds de félin m'appartiennent que comme dompteur je te maîtrise à coups de fouet s'il fallait, ma chère, ma belle, ma sauvage, mon adorable panthère.
            Et ce mot mis par toi dans ma lettre me fait penser à la si troublante histoire de Balzac Une passion dans le désert. 
            Tu dis, ma chérie, que nous faisons un couple magnifique. A toi en revient l'honneur, ma chérie, parce que tu as bien voulu me répondre en chemin de fer ; miraculeuse histoire ! Une force inconnue t'y poussait car je voyais bien que tu ne répondais pas de bon gré à un inconnu.
            Je baise ta photo, je te prends toi la plus voluptueuse des filles, la plus intelligente et la plus belle.
            J'ai peur que ton passage touchant l'Amour dans le Crime et ton âme de panthère il n'y ait un peu de jalousie. N'en aie point, m'amour adoré, il n'y a aucune aucune raison. Tout le reste m'est à jamais indifférent. C'est une sorte de musée où je n'entre jamais.
           Toi seule existe qui est tout pour moi : Panthère et Panthéon. Dieu que je t'aime. Et tes pieds tu ne veux pas m'en parler ?
           Je t'envoie un article de Vollard, le marchand de tableaux de Cézanne qui vient d'écrire des souvenirs " anthumes " sur Renoir.
           Mais Renoir qui est le plus grand peintre vivant dit beaucoup de sottises comme en disent tous les vieillards. Il faudra nous autres se garder de perdre sa jeunesse nous autres n'est-ce pas mon amour ? Je t'adore et te mords la nuque doucement, ma chérie, ma Madeleine. Je t"étreins profondément !

                                                                                                                Gui