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dimanche 11 mars 2012

Lettres à Madeleine 18 Apollinaire

    havresac_g_nie_14_18                               Lettre à Madeleine

                                                      ( dans sa lettre le poète décrit son peu de goût pour le théâtre
     mais son espoir d'écrire une pièce et sa préférence pour les décors modernes puis l'assure longuement de son amour. Sa mère n'est toujours pas informée de leur relation mais " ... si je lui ai dit de nous. Non, mais ça n'a pas d'importance... d'ailleurs j'aime beaucoup maman et elle m'aime aussi... " )

                                                                                                  3 septembre 1915

                 Mon aimée tant chérie. J'ai reçu la petite carte tant exquis du 29 et j'attends la longue lettre interminable avec impatience  car sans doute que pour des raisons que je ne puis écrire nous allons rester quatre jours sans communications même avec l'échelon - Mais je t'écrirai chaque jour durant ce temps et tu recevras le tout ensemble. En tout cas toi écris-moi aussi et dans tes déplacements même annoncés répète désormais ton adresse chaque fois de façon à ce que si j'égare comme ça peut arriver une lettre ( ça n'arrive pas d'ailleurs et ta lettre avec l'adresse de Narbonne est dans mon sac à avoine avec d'autres choses qui le bourrent de tout autre chose que d'avoine, ce sac est dis-je, à l'échelon et je ne peux faire fouiller dans ce sac pr qu'on m'apporte la lettre ), si j'égare dis-je encore ou oublie une lettre, j'ai tout de même l'adresse de Madeleine.

                    CHEF DE PIÈCE
                
                  Le margis est à sa pièce
                  Il dort dans son abri à côté du canon
                 Il vit avec ses servants et partage leur cuistance
                 Il écrit auprès d'eux à Madeleine
                 Il joue avec eux tous sept comme des enfants
                 Il songe à la Grande Chose qui va venir
                 Il admire le merveilleux enthousiasme des bobosses
                 Décidément le courage a grandi partout
                 Et l'on est sûr on est certain de la Grande Chose
                 Il pensera tout ce temps-là à Madeleine

                Si vous m'aviez dit Madeleine que vous alliez aller à la belle Antibes, la grecque, je vous eusse dit
d'aller voir près de l'église la pierre tombale de l'enfant du Nord qui vient danser au théâtre d'Antibes, je ne sais plus sous le règne de quel empereur romain. Saltavit et placuit dit l'inscription si pure, si belle, si poétique dans sa brièveté lapidaire - Il dansa et il plut...
                 Je n'avais été à Antibes quand j'étais enfant, j'y ai été plusieurs fois pendant mon séjour à Nice au début de la guerre et l'impression que cette ravissante cité marine m'a donnée est celle que m'en avaient déjà données les Mémoires de Casanova.
                J'habite maintenant à côté du canon. - Vous avez reçu le joli dessin de M. L.. Pour la remercier, comme je lui garde une grande amitié et comme rien ne doit être caché entre nous ( moi et Madeleine ) puisque je n'aurai jamais rien à te cacher je t'envoie, un petit groupe de poèmes que je lui ai envoyés, car elle m'avait fait demander des poèmes qu'elle voudrait illustrer et publier au profit d'une oeuvre charitable. Voilà donc ces poèmes qui forment un petit roman poétique guerrier et qui vont paraître dans la Gazette des Lettres pour le temps de la Guerre.

                                           LE MÉDAILLON TOUJOURS FERME

                                                             La grâce en exil

                                           Va-t-en va-t-en mon arc-en-ciel
                                           Allez-vous-en couleurs charmantes
                                           Cet exil t'est essentiel
                                           Infante aux écharpes changeantes

                                          Et l'arc-en-ciel est exilé
                                          Puisqu'on exile qui l'irise
                                          Mais un drapeau s'est envolé
                                          Prendre la place au vent de bise
                  

tableau Marie Laurencin

LA BOUCLE RETROUVÉE

Il retrouve dans sa mémoire
La boucle de cheveux châtains
    T'en souvient-il à n'y point croire
 De nos 2 étranges destins 

Du boulevard de la Chapelle
Du joli Montmartre et d'Auteuil
Je me souviens murmure-t-elle
Du jour où j'ai franchi ton seuil

Il y tomba comme un automne
La boucle de ton souvenir
Et notre destin qui t'étonne
Se joint au jour qui va finir

REFUS DE LA COLOMBE

Mensonge de l'annonciade
La Noël fut la Passion
Et qu'elle était charmante et sade
Cette renonciation

Si la colombe poignardée
Saigne encore de ses refus
J'en plume les ailes : l'idée
Et le poème que tu fus

LES FEUX DU BIVOUAC

Les feux mourants du bivouac
Éclairent des formes de rêve
Et le songe dans l'entrelacs
Des branches lentement s'élève

Voici les dédains du regret
Tout écorché comme une fraise
Les souvenirs et le secret
Dont il ne reste que la braise

TOURBILLON DE MOUCHES

Un cavalier va dans la plaine
La jeune fille pense à lui
Et cette flotte à Mytilène
Le fil de fer est là qui luit

Comme ils cueillaient la rose ardente
Leurs yeux tout à coup ont fleuri
Et quel soleil la bouche errante
A qui la bouche avait souri

LES GRENADINES REPENTANTES

En est-il deux dans Grenade
Qui pleurent sur ton seul péché ?
Ici l'on jette la grenade
Qui se change en un oeuf coché

Puisqu'il en naît des coqs Infante
Entends-les chanter leurs dédains
Et que la Grenade est touchante
Dans nos effroyables jardins

L'ADIEU DU CAVALIER

Ah Dieu ! que la guerre est jolie
Avec ses chants ses longs loisirs
La bague si pâle et polie
Et le cortège des plaisirs

Adieu ! voici le boute-selle !
Il disparut dans un tournant
Et  mourut là-bas, tandis qu'elle
cueillait des fleurs en se damnant


                                                                                             Guillaume Apollinaire
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