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mardi 16 janvier 2018

Lettre sur les aveugles 3 Diderot ( Lettres France )

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                                                Lettre sur les aveugles
     
                                                                    à l'usage de ceux qui voient

            Les épingles à grosse tête ne se plaçaient jamais qu'au centre du carré ; celles à petite tête, jamais que sur les côtés, excepté dans un seul cas, celui du zéro. Le zéro se marquait par une épingle à grosse tête, placée au centre du petit carré, sans qu'il y eût aucune autre épingle sur les côtés  .
            Le chiffre 1 était représenté par une épingle à petite tête, placée au centre du carré, sans qu'il y eût aucune autre épingle sur les côtés.
            Le chiffre 2, par une épingle à grosse tête placée au centre du carré, et par une épingle à petite tête, placée sur un des côtés au point 1.
           Le chiffre 3, par une épingle à grosse tête placée au centre du carré, et par une épingle à petite tête placée sur un des côtés au point 2.
           Le chiffre 4 par une épingle à grosse tête, placée au centre du carré, et par une épingle à petite tête placée sur un des côtés au point 3.
           Le chiffre 5, par une épingle à grosse tête, placée au centre du carré, et par une épingle à petite tête placée sur un des côtés au point 4.
          Le chiffre 6 par une épingle à grosse tête placée au centre du carré, et par une épingle à petite tête placée sur un des côtés au point 5
          Le chiffre 7 par une épingle à grosse tête placée au centre du carré, et par une épingle à petite tête, placée sur un des côtés au point 6.
          Le chiffre 8 par une épingle à grosse tête placée au centre du carré et par une épingle à petite tête placée sur un des côtés au point 7.
          Le chiffre 9, par une épingle à grosse tête placée au centre du carré, et par une épingle à petite tête, placée sur un des côtés du carré au point 8.
            Voilà bien dix expressions différentes pour le tact, dont chacune répond à un de nos dix caractères arithmétiques.
            Imaginez maintenant une table si grande que vous voudrez, partagée en petits carrés rangés horizontalement et séparés les uns des autres de la même distance, et vous aurez la machine de Saunderson.
            Vous concevez facilement qu'il n'y a point de nombre qu'on ne puisse écrire sur cette table et, par conséquent, aucun opération arithmétique qu'on n'y puisse exécuter.
            Soit proposé, par exemple, de trouver la somme ou de faire l'addition des neuf nombres suivants :                                                                                                                                               
Résultat de recherche d'images pour "mondrian"  *         Je les écris sur la table à mesure qu'on me les nomme. Le  premier  chiffre à gauche du premier nombre, sur le premier carré à gauche de la première ligne ; le second chiffre, à gauche du premier nombre, sur le second carré à gauche de la même ligne. Et ainsi de suite.
            Je place le second nombre sur la seconde rangée de carrés, les unités sous les unités, les dizaines sous les dizaines, etc.
            Je place le troisième nombre sur la troisième rangée de carrés, et ainsi de suite. Puis, parcourant avec les doigts chaque rangée verticale de  bas en haut, en commençant par celle qui est le plus à ma gauche, je fais           l'addition des nombres qui y sont exprimés, et j'écris le surplus des dizaines au bas de cette colonne. Je passe à la seconde colonne en avançant vers la gauche, sur laquelle j'opère de la même manière, de celle-là à la troisième, et j'achève ainsi mon addition.
            Voici comment la même table lui servait à démontrer les propriétés des figures rectilignes. Supposons qu'il eût à démontrer que les parallélogrammes, qui ont même base et même hauteur, sont égaux en surface, il attachait des noms aux points angulaires, et il achevait la démonstration avec ses doigts.
            En supposant que Saunderson n'employât que des épingles à grosse têtes pour désigner les limites de ses figures, il pouvait disposer autour d'elles des épingles à petite tête de neuf façons différentes qui, toutes, lui étaient familières. Ainsi il n'était guère embarrassé que dans le cas où le grand nombre de points angulaire qu'il était obligé de nommer dans sa démonstration le forçait de recourir aux lettres de l'alphabet. On ne nous apprend point comment il les employait.
            Nous savons seulement qu'il parcourait sa table avec une agilité de doigts surprenante ; qu'il s'engageait avec succès dans les calculs les plus longs, qu'il pouvait les interrompre et reconnaître quand il se trompait, qu'il les vérifiait avec facilité et que ce travail ne lui demandait pas, à beaucoup près, autant de temps qu'on pourrait se l'imaginer, par la commodité qu'il avait de préparer sa table.
            Cette préparation consistait à placer des épingles à grosse tète au centre de tous les carrés. Cela fait, il ne lui restait plus qu'à en déterminer la valeur par les épingles à petite tête, excepté dans les cas où il fallait écrire une unité. Alors il mettait au centre du carré une épingle à petite tête à la place de l'épingle à grosse tête qui l'occupait.
            Quelquefois, au lieu de former une ligne entière avec ses épingles, il se contentait d'en placer à tous les points angulaires ou d'intersection, autour desquels il fixait des fils de soie qui achevaient de former les limites de ses figures.                                                              younglandis.wordpress.com
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            Il a laissé quelques autres machines qui lui facilitaient l'étude de la géométrie : on ignore le véritable usage qu'il en faisait, et il y aurait peut-être plus de sagacité à le retrouver qu'à résoudre tel ou tel problème de calcul intégral. Que quelque géomètre tâche de nous apprendre à quoi lui servaient quatre morceaux de bois, solides, de la forme de parallélépipèdes rectangulaires, chacun de onze pouces sur cinq et demi de large et sur un peu plus d'un demi-pouce d'épais, dont les deux grandes surfaces opposées étaient divisées en petits carrés semblables à celui de l'abaque que je viens de décrire, avec cette différence qu'ils n'étaient percés qu'en quelques endroits où des épingles étaient enfoncées jusqu'à la tête. Chaque surface représentait neuf petites tables arithmétiques de dix nombres chacune, et chacun de ces dix nombres était composé de dix chiffres, ex. :
                                     9 4 0 8 4
                                     2 4 1 8 6
                                     4 1 7 9 3
                                     5 4 2 8 4.................
            Il est l'auteur d'un ouvrage très parfait dans son genre. Ce sont des " Éléments d'algèbre " où l'on aperçoit qu'il était aveugle qu'à la singularité de certaines démonstrations qu'un homme qui voit n'eût peut-être pas rencontrées. C'est à lui qu'appartient la division du cube en six pyramides égales qui ont leurs sommets au centre du cube, et pour base chacune de ses faces. On s'en sert pour démontrer d'une manière très simple que toute pyramide est le tiers d'un prisme de même base et de même hauteur.
            Il fut entraîné par son goût à l'étude des mathématiques, et déterminé par la médiocrité de sa fortune et les conseils de ses amis à en faire des leçons publiques. Ils ne doutèrent point qu'il ne réussît au-delà de ses espérances par la facilité prodigieuse qu'il avait à se faire entendre. En effet, Saunderson parlait à ses élèves comme s'ils eussent été privés de la vue : mais un aveugle qui s'exprime clairement pour des aveugles doit gagner beaucoup avec des gens qui voient ; ils ont un télescope de plus.
            Ceux qui ont écrit sa vie disent qu'il était fécond en expressions heureuses, et cela est fort vraisemblable. Mais qu'entendez-vous par des expressions heureuses, me demanderez-vous peut-être.
Mais qui est-ce qui n'est pas de temps en temps dans le même cas ? Cet accident est commun aux idiots qui font quelquefois d'excellentes plaisanteries et aux personnes qui ont le plus d'esprit, à qui il échappe une sottise sans que ni les uns ni les autres s'en aperçoivent.   
Résultat de recherche d'images pour "kandinsky cercles"  **        J'ai remarqué que la disette de mots produisait aussi le même effet sur les étrangers à qui la langue n'est pas encore familière ; ils sont forcés de tout dire avec une très petite quantité de termes, ce qui les contraint d'en placer quelques-uns très heureusement. Mais toute langue en général étant pauvre de mots propres pour les écrivains qui ont l'imagination vive, ils sont dans le même cas que des étrangers qui ont beaucoup d'esprit : les situations qu'ils inventent, les nuances délicates qu'ils aperçoivent dans les caractères, la naïveté des peintures qu'ils ont à faire les écartent à tout moment des façons de parler ordinaires, et leur font adopter des tours de phrases qui sont admirables toutes les fois qu'ils ne sont ni précieux, ni obscurs. Défauts qu'on leur pardonne plus ou moins difficilement, selon qu'on a plus d'esprit soi-même, et moins de connaissance de la langue. Voilà pourquoi M. de M... est de tous les auteurs français celui qui plaît le plus aux Anglais, et Tacite celui de tous les auteurs latins que les " penseurs " estiment davantage. Les licences de langage nous échappent et la vérité des termes nous frappe seule.  
            Saunderson professa les mathématiques dans l'université de Cambridge avec un succès étonnant. Il donna des leçons d'optique ; il prononça des discours sur la nature de la lumière et des couleurs ; il expliqua la théorie de la vision ; il traita des effets des verres, des phénomènes de l'arc-en-ciel et de plusieurs autres matières relatives à la vue et à son organe.
            Ces faits perdront beaucoup de leur merveilleux si vous considérez, madame, qu'il y a trois choses à distinguer dans toute question mêlée de physique et de géométrie : le phénomène à expliquer, les suppositions du géomètre et le calcul qui résulte des suppositions. Or, il est évident, quelle que soit la pénétration d'un aveugle, les phénomènes de la lumière et des couleurs sont inconnus. Il entendra les suppositions, parce qu'elles sont toutes relatives à des causes palpables, mais nullement la raison que le géomètre avait de les préférer à d'autres : car il faudrait qu'il pût comparer les suppositions mêmes avec les phénomènes. L'aveugle prend donc les suppositions pour ce qu'on les lui donne : un rayon de lumière pour un fil élastique et mince, ou pour une suite de petits corps qui viennent frapper nos yeux avec une vitesse incroyable, et il calcule en conséquence/ Le passage de la physique à la géométrie est franchi, et la question devient purement mathématique.
            Mais que devons-nous penser du résultat du calcul ?
            1° Qu'il est quelquefois de la dernière difficulté de les obtenir, et qu'en vain un physicien serait très heureux à imaginer les hypothèses les plus conformes à la nature, s'il ne savait les faire valoir par la géométrie : ainsi les plus grands physiciens, Galilée, Descartes, Newton, ont-ils été grands géomètres.
            2° Que ces résultats sont plus ou moins certains selon que les hypothèses dont on est parti sont plus ou moins compliquées. Lorsque le calcul est fondé sur une hypothèse simple, alors les conclusions acquièrent la force de démonstrations géométriques. Lorsqu'il y a un grand nombre de suppositions l'apparence que chaque hypothèse soit vraie diminue en raison du nombre des hypothèses, mais augmente d'un autre côté par le peu de vraisemblance que tant d'hypothèses fausses se puissent corriger exactement l'une l'autre et qu'on obtienne un résultat confirmé par les phénomènes. Il en serait en ce cas comme d'une addition dont le résultat serait exact, quoique les sommes partielles des nombres ajoutés eussent toutes été prises faussement. On ne peut disconvenir qu'une telle opération ne soit possible, mais vous voyez en même temps qu'elle doit être fort rare. Plus il y aura de nombres à ajouter, plus il y aura d'apparence que l'on se sera trompé dans l'addition de chacun. Mais aussi moins cette apparence sera grande, si le résultat de l'opération est juste. Il y a donc un nombre d'hypothèses tel que la certitude qui en résulterait serait la plus petite qu'il est possible. Si je fais A, plus B, plus C égaux à 50, conclurai-je de ce que 50 est en effet la quantité du phénomène, que les suppositions représentées par les lettres A, B, C, sont vraies ? Nullement, car il y a une infinité de manières d'ôter à l'une de ces lettres et d'ajouter aux deux autres, d'après lesquelles je trouverai toujours 50 pour résultat. Mais le cas de trois hypothèses combinées est peut-être un des plus défavorables.                                                                                           museumshopdenhaag.com 
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            Un avantage du calcul que je ne dois pas omettre, c'est d'exclure les hypothèses fausses par la contrariété qui se trouve entre le résultat et le phénomène. Si un physicien se propose de trouver la courbe qui suit un rayon de lumière en traversant l'atmosphère, il est obligé de prendre son parti sur la densité des couches de l'air, sur la loi de la réfraction, sur la nature et figure des corpuscules lumineux, et peut-être sur d'autres éléments essentiels qu'il ne fait point entrer en compte, soit parce qu'il les néglige volontairement, soit parce qu'ils lui sont inconnus. Il détermine ensuite la courbe du rayon. Est-elle autre dans la nature que son calcul ne la donne ? ses suppositions sont incomplètes ou fausses. Le rayon prend-il la courbe déterminée ? Il s'ensuit de deux choses l'une : ou que les suppositions se sont redressées, ou qu'elles sont exactes. Mais lequel des deux ? Il l'ignore, cependant voilà toute la certitude à laquelle il peut arriver.


*         qadratus.fr
**      algorythmes.blogspot.fr
                                                                                                      

                                                                                                   à suivre...........

                                                                                              
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