lundi 18 avril 2016

Mes souvenirs de la Commune ( extrait ) Un tour à Londres Paul Verlaine ( nouvelles France )

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ipoesie.org

       
                                              Mes souvenirs de la Commune

           Oh ! ce 18 mars ! Ce jour-là nous, toute la littérature ou peu s'en faut d'alors, tout l'art, nous suivions le corbillard de Charles Hugo, son père en tête, bien accablé. Le cortège attendait à la gare d'Orléans, très nombreux et très mêlé aussi. Après que, pour ma part entre tant d'autres, j'eus eu présenté mes hommages de condoléance au bon vieux Maître qui, je m'en souviendrai toujours, me baisa de sa barbe déjà blanche et si douce ! nous nous mîmes en marche par un temps bis, mais en somme beau et qui avait été superbe dès l'aube.
            J'étais, quant à ce qui me concerne, à côté d'Edmond de Goncourt, encore tout meurtri de la mort de son frère, mais littéraire, en outre, en diable. Témoin ce dialogue entre lui et moi qui admirais les belles barricades se dressant et d'où sortaient de naïfs gardes nationaux tambours battant, clairons sonnant ( d'ailleurs que peu militairement ! ), mais enfin !
            Moi. - Ne trouvez-vous pas gentil ce peuple énervé par ce siège prussien, qui, ne comprenant rien à la poésie de Victor Hugo, mais le croyant, peut-être avec raison, son ami, fait à son fils de si touchantes funérailles ?
            Lui. - M. Thiers est un bien mauvais écrivain, bien mauvais, bien mauvais ; mais je doute fort que ces gens-là travaillent mieux que lui dans ce genre, - et du moins il représente l'ordre.
            Le respect pour l'âge et le talent m'interdisaient de rétorquer l'argument, aussi bien, juste, mais mal sentimental. Donc je grommelai un peu, puis me tus.
            Le cortège arriva péniblement, grâce à l'empressement gentiment indiscret de ces braves ouvriers déguisés en soldats bourgeois qui escortaient le mort à la façon qu'il eût fallu, mais enfin arriva au Père Lachaise, où des discours, trop !, furent prononcés à travers les peurs des purs républicains déplorant la mort des deux " généraux " dans la rue des Rosiers, et la victoire définitive de la " Réaction ".                                                                                      perdre-la-raison.com 
Afficher l'image d'origine            Une scène affreuse de passa. Le caveau patrimonial était trop étroit d'entrée pour le cercueil du pénultième descendant, et voici que les pioches et autres instruments procédèrent, avec un bruit retentissant aux coeurs de tous non sans pitié pour le grand poète, à quelque élargissement. Cela dura quelques minutes, trop, beaucoup trop longtemps ! Le corps, enfin, mis sur le corps des ancêtres, devant le père en larmes et presque en nerfs, on s'égailla...
            Mais la scène, en dehors, s'était foncée, comme froncée en une vague colère, et, en somme, quelque injustice. On en voulait surtout à ces malheureux " curés ", aussi à ces infortunés " capitulards " de généraux, victimes encore plutôt que coupables d'une organisation militaire fantaisiste et confiante à l'excès, sous l'égide d'un " tyran " presque regrettable aujourd'hui. Aussi que de cris de :
            " Vive la République communiste ! "
furent proférés en ce premier jour de la Commune .....


                                                                                          Verlaine


            *********************                                                            jeuxvideo.com     
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                                                           Un tour à Londres

            Je suis gourmand, et j'avouerai que ma principale surprise , en lunchant pour la première fois depuis vingt-six ans à Londres, fut d'y trouver, dans certains grands restaurants jadis et naguère tout à fait britanniques, presque ( car tout est relatif ) francisés ou plutôt parisianisés : pains quasiment émis de la rue Vivienne, et rien de cette pâte sèche excellente pour les tartines du breakfast et du five'o'clock tea mais médiocre en toutes autres occurences sauf quand, molle, bouillie et ointe de moelle de boeuf, elle est prête pour le pudding ; pommes paille, même un peu trop ténues, le café classique ou peu s'en faut, d'ores et déjà.
            J'aime la lumière, myope que je suis le soir après avoir été presbyte tout le jour, et, à la place de l'affreux luminaire qui eût pu faire croire, vers 1872, à une grève de gaziers, j'assistai à la littérale illumination, électrique et autrement, des grands quartiers, à de l'éclairage archi-parisien dans les faubourgs.
            J'adore la toilette des femmes qui les idéalise, et, au lieu de ces affreux contrastes de vert-poireau et de ce rouge saignement de nez, dont se plaignait si sévèrement Jules Vallès un peu après la Commune, j'admirai, en  novembre dernier, le gris-perle et le rose-thé nuançant tant de distinction autrefois un peu raide, qui, dès lors, embellissaient encore les teints délicats et les traits angéliques de ces dames.

            Je suis Parisien et je m'attendais aux réserves de jadis et de naguère, et ne voilà-t-il pas qu'une camaraderie tout à fait boulevardière me rappela mes beaux jours d'il y a malheureusement longtemps et heureusement de tout à l'heure, au Riche, à l'Anglais et chez l'ortoni ! Même le Quartier Latin a maintenant, à Londres, son reflet et son écho un peu partout où l'on est jeune, et il n'est pas jusqu'à telles belles personnes qui ne puissent figurer pour un Français novice encore... ou toujours, telles autres amies dont on connaît entre la Place Saint-Michel et l'Observatoire.
painrisien.com
Résultat de recherche d'images pour "pains fantaisie"            Je ne raffole plus du théâtre, mais si je n'étais devenu, un peu forcément ( maladie, et. ) ce solitaire, ce sauvage et ce sage-ci, je continuerais d'idolâtres les cafés-concerts, music-anglice halls. Or j'eusse pu, j'eusse dû même aller m'...amuser aux grands spectacles à grands orchestres wagnériens et autres, aux psychologies intenses ou non des meilleures scènes, etc. Eh bien ! non, j'ai là-bas cédé à ma vieille passion pour la chanson comique, pour les tours de force et d'adresse et, oh, pour les ballets nombreux et malicieux et d'un goût, d'une variété, sans doute indignes des planches qui se respectent, mais si gentils, si amusants en vérité que je doute que Paris lui-même puisse en offrir de meilleurs. Et Dieu sait si ces lieux, de véritables délices, fourmillent aujourd'hui dans le sombre London d'il y vingt et même dix ans, maintenant un London international et surtout parisien, dans son  développement, néanmoins bien anglais et très traditionnel entre tous autres phénomènes sociaux de notre temps bon et mauvais, mauvais surtout, bon plutôt !
            Puis, je ne suis point partisan de trop de pédantisme, et que le diable m'emporte si l'on peut trouver en Albion ces gens en us et en es, qui florissaient du temps où j'avais trente et peu d'années, à moins que de plonger dans d'invraisemblables catacombes académiques ou parlementaires.

            Et, définitivement, je suis un poète. Je n'en suis ni plus riche ni moins fier pour ça. Et figurez-vous que non seulement la poésie anglaise, la rivale pittoresque et rêveuse de notre poésie précise et si bellement, si clairement psychologique, s'est réconciliée avec celle-ci, mais encore que les poètes anglais   accueillent, aiment leurs confrères de ce côté-ci de l'eau et que je crois bien qu'on le leur rendrait à Paris, le cas échéant, moi, chétif, en tête.

            Bref, Londres est gallophile comme Paris anglomane. J'ai passé quelques jours là-bas et j'y ai moissonné une affection profonde, une estime sans bornes, une sympathie haletante et toujours prête, pour ces braves gens et ces bonnes gens, cordiaux sous leur air froid et, défaut national ! excentriques jusqu'à vouloir bien, lors de leur concentration dans leur, à bon droit, aimée mère patrie, rapporter de leurs longs voyages de terre, de mer et de lectures, le goût des bonnes lettres continentales et la leçon, bien appropriée par eux, chez, des us et coutumes de leurs voisins, avec une nuance plaisante et flatteuse, de préférence pour nous autres, French ladies and gentlemen.


                                                                                               Paul Verlaine

vendredi 15 avril 2016

Virginia Woolf Michèle Gazier Bernard Ciccolini ( B.D. France )



           
                                                          Virginia Woolf

            Michèle Gazier scénariste et Bernard Ciccolini au dessin offrent un joli ouvrage ocre et bleu qui conviennent à la vie mélancolique de la romancière anglaise, que ce soit à Londres qu'elle aime au bord de la mer pour des vacances familiales. Mais encore adolescente elle perd sa mère. Elle retient l'odeur de sa robe à fleurs, puis peu de temps après d'autres êtres chères mourront. Née en 1882 elle disparaît en 1941. Irrésolue dans ses désirs elle épouse néanmoins Léonard Woolf. Rencontre Vita Sackville West femme libre, mais l'écriture est sa vie et Léonard la soutient et lui propose d'éditer son travail. La maison d'édition est une réussite, parmi les auteurs édités, Katherine Mansfield disparue très jeune elle aussi, à 31 ans atteinte de tuberculose en France. Les livres de Virginia obtiennent un très bon accueil : Les Vagues, Mrs Dalloway etc... Virginia Woolf souffre de terribles migraines, fragile, Léonard inquiet, elle séjourne en maison de repos. Mais la tristesse la terrasse. Léonard et Virginia voyagent, à Berlin ils assistent aux déferlements de haine, elle pense Léonard est juif je suis donc juive. A Londres Freud qui a réussi à fuir les arrestations les reçoit. Les restrictions les surprennent, joie lorsque Vita leur envoie une livre de beurre. Survol de ces années douces-amères que la romancière décide d'achever un jour les poches remplies de cailloux. La rivière Ouse toute proche.

jeudi 14 avril 2016

Un si gentil garçon Javier Guttiérez ( roman Espagne )


                                 Un si gentil garçon

            Revenu des EtatsUnis, après dix ans d'absence, où il avait accepté un poste dans la banque comme son père, bien qu'il eût toujours nié, refusé l'idée même d'avoir un jour ce genre de d'activité, Polo en costume cravate rencontre par hasard Nacho dans un bar à Madrid. Ils se souviennent. Mauvais souvenirs que Polo raconte tout au long du livre sans interruption, ce qui donne une écriture assez surprenante qui demande un temps d'adaptation, à son psy, ce qui aujourd'hui provoque chez lui malaise manque de désir pour la jolie femme, Gabi, qui vit à ses côtés, alors que dix ans plus tôt... Dix ans plus tôt Polo, Nacho, Nicho, Blanca jouaient dans un groupe de rock. Ils buvaient, se droguaient bien fournis par les Jumeaux et d'excès en excès ces derniers leur proposent diverses drogues qui endorment leurs proies dont ils profitent. Un jour le viol tourne au cauchemar, vomissements et autres blessures, hôpital. Qui est responsable ? Trop drogués pour se souvenir ? Qui était présent, Nacho frère de Blanca "... il m'aimait plus que tout au monde... " Nicho, Polo, Les Jumeaux ? doute. Plainte et drogues signifient prison. Mais Polo est un si gentil garçon que ses parents redoutaient sans preuves alors de le voir emporté dans de graves mésaventures et l'ont forcé à partir à NewYork où il a préparé un master en économie bancaire, et a travaillé. Polo est torturé. Le psy lui conseille d'avouer son passé à sa compagne. Douloureuse remise en question. Lâcheté, était-il toujours présent lors des viols, est-il guéri, ses aveux feront-ils fuir sa compagne ? Après une belle année 1997 la chûte en 1998. Les souvenirs sont morcelé par les sorties d'obscurs groupes rock jusqu'à Nirvana.

dimanche 10 avril 2016

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 55 Samuel Pepys ( journal Angleterre )

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histoiredelart.net


                                                                                                      16 septembre 1661

            Ce matin je fus occupé à la maison, ai fait rentrer ma part du charbon dont nous avons passé commande sir George Carteret, sir Robert Slingsby et moi, un chargement de 13 tonnes, j'en gardai 10 et donnai les 3 autres à sir William Penn pour lui rendre ce que je lui avais récemment emprunté. Je pourrai voir, à partir d'aujourd'hui, combien dureront les 13 tonnes pour les besoins de mon ménage, si toutefois Dieu m'accorde d'en voir le bout.
            Rencontrai l'après-midi le Dr Williams et son avoué, comme convenu. Avec eux chez Tom Trice où, au cours de notre conversation nous lui fîmes reconnaître qu'il avait dit que sa mère lui avait demandé de ne pas intenter, tant qu'elle vivrait, de procès à son oncle, à propos des 200 livres qu'il s'était engagé à payer en sa faveur. Nous en vînmes à des propos fort vifs avec Tom Trice, puis nous nous séparâmes. De notre côté chez Standing dans Fleet Street, ou nous bûmes en causant un long moment de ma comparution devant la Cour de Graveley, fixée pour cette semaine. Le docteur en a été avisé par une lettre de sa soeur. Au beau milieu de notre conversation, on vint m'avertir de chez mon frère, que quelqu'un arrivait exprès de chez mon père, à la campagne, pour me parler. J'allai le trouver et il me dit qu'il avait perdu la lettre, mais qu'il était sûr que c'était pour me demander d'aller à la campagne. Ce que je crus, pensant que c'était peut-être pour me notifier ma convocation devant la cour. Mais je découvre plus tard que c'était un fripon coutumier de tels tours destinés à se faire donner de l'argent. Il n'a toutefois rien obtenu de moi. Le soir, je rentrai chez moi, et là je trouve des lettres de mon père m'avisant de la session de la Cour et me demandant de le rencontrer à Impington, ce que je décidai aussitôt de faire.  Me me levai le lendemain et annonçai mon voyage à ma femme. En quelques mots elle me persuada de lui louer un cheval pour m'accompagner.


                                                                                                                 17 septembre
jeanfrancoisk.free.fr
 Afficher l'image d'origine           Allai chez milady et ailleurs faire mes adieux, empruntai à Mr Townshend une belle selle de dame, et lorsque tout fut prêt, ma femme et moi^prîmes une voiture jusqu'à la sortie de la ville en direction de Kingsland. J'enfourchai là mon cheval et elle monta sur la jolie jument que je lui avais louée. Elle monte fort bien mais la jument tomba, et elle fit une chute, sans mal toutefois. Nous atteignîmes Ware où nous soupâmes, et au lit, fort gaiement et agréablement.
   

                                                                                                                       18 septembre          

        Le lendemain matin, partîmes tôt. Chemin exécrable aux environs de Puckeridge et ma femme fit une chute au pire endroit, le plus boueux. Pas de mal, mais un peu crottée.. Elle finit, la pauvre chérie, par se fatiguer, et moi par me mettre en colère, mais j'avais tort, car elle est de fort bonne compagnie, tant qu'elle va bien.
            Arrivâmes l'après-midi à Cambridge, laissai ma femme chez mon cousin Angier, tandis que je me rendais à Christ College. Je trouvai mon frère dans sa chambre et causai avec lui. Ensuite, chez le barbier, puis retournai auprès de ma femme et nous repartîmes à cheval pour Impington. Mon oncle nous accueillit fort gentiment  Mon père arriva et nous soupâmes et conversâmes fort gaiement, mais fatigués et gagnés par le sommeil allâmes au lit sans discuter avec mon père de nos affaires.


                                                                                                                       19 septembre
                                                                                                                  impingtonhall.co.uk
Afficher l'image d'origine            Levé de bonne heure, au jardin avec mon père où nous discutâmes de nos affaires et des actions à entreprendre. Après avoir parlé avec mon cousin Claxton et avoir pris son avis, mon oncle encore au lit, nous partîmes tous à cheval pour Cambridge où mon père et moi, après avoir laissé ma femme à la taverne de l'Ours avec mon frère, nous nous rendîmes auprès de Sedgewick, le régisseur de Graveley. Nous discutâmes, mais ce qu'il voulut bien nous dire nous laissa peu d'espoir. Je finis toutefois par lui donner un pourboire, et il répondit volontiers aux questions que je lui posai. C'est toujours ça, quoique peu réconfortant.
            Repartîmes à cheval et avec ma femme traversâmes la foire de Stourbridge. Comme elle était presque terminée nous ne fîmes pas la moindre halte, mais retournâmes à la taverne de l'Ours à Cambridge où nous mangeâmes des harengs avec mon frère. Après dîner, départ pour Brampton où nous arrivons assez tôt et trouvons tout en ordre. Nous sentant un peu fatigués, après quelques mots avec mon père sur le travail qui nous attend demain, nous allâmes nous coucher.


                                                                                                                20 septembre 1661

            Will Stankes et moi partîmes tôt pour Graveley. Arrivés nous allâmes boire dans une taverne, puis nous dirigeant vers la Cour de Justice nous rencontrâmes mon oncle Thomas et son fils Thomas en compagnie de Bradley, le fripon qui nous avait trahis, et d'un certain Young, homme habile qui les conseille. Il n'y eut entre nous aucune parole blessante, mais je fis semblant d'être bien disposé et allai boire avec eux. Je parlai peu avant notre comparution devant la Cour. Celle-ci n'était qu'un vulgaire ramassis de gredins de la campagne, avec le régisseur et deux " fellows " de Jesus College qui sont seigneurs de la ville. Le jury prêta serment et, comme je ne présentai aucun document attestant la cession des biens à mon profit, j'eus beau affirmer ma certitude qu'un tel document existait, qu'il se trouvait à coup sûr quelque part, ils déclarèrent mon oncle Thomas héritier légitime, ce qu'il est en effet. J'eus beau leur dire, à lui et à son fils, qu'ils se retrouveraient trompés par ces gens, j'eus beau leur conseiller de renoncer à faire reconnaître leurs droits dès cette session, ce qu'ils auraient accepté si ces gredins ne les avaient persuadés de ne pas attendre, mon oncle vit ses droits de propriété reconnus, de même que ceux de son fils, par reversion après le décès du père, solution heureuse pour lui, car elle préserve ses finances. Le père paya une année et demie de droit de bail et le fils une demi-année, soit en tout 48 livres, outre environ 3 livres de frais. Si bien qu'à mon avis la dépense occasionnée par le voyage et ce qu'il donne à ces gredins, en sus des dépenses annexes, ne peuvent être de moins de 70 livres. La chose leur sera bien amère, si l'on découvre le titre de cession à mon profit.       thewaggongraveley.co.uk 
Afficher l'image d'origine            Quand tout fut terminé, je leur présentai franchement mes félicitations et les accompagnai à cheval jusqu'à Oxford, où nous nous séparâmes courtoisement, sans mot dire. Je saisis l'occasion de leur faire une offre pour leur demi-arpent de terre que j'ai envie d'acheter, de façon à avoir des chances d'obtenir, avec le secours du titre de cession de la tenure, les terres de Pigott, auxquelles sans cela je serais contraint de renoncer.
             Retour à la maison avec Stankes et souper, et après avoir conté à mon père comment les choses s'étaient passées, j'allai au lit l'esprit serein parce que je saisissais le fond et la forme du jugement et percevais maintenant les tenants et aboutissants de mon affaire, que j'ignorais auparavant et aurais, sans cela, continué à ignorer.


                                                                                                             21 septembre

            Pris du bon temps toute la matinée en compagnie de mon père, me promenai partout dans la maison et le jardin avec lui et ma femme, imaginant des transformations. Après dîner, ma tante Haines venue de Londres avec son fils, doit vivre avec mon père. J'allai à cheval à Huntingdon, rencontrai Mr Philips et préparai avec lui mon dossier sur l'affaire de Buckden en vue d'un jugement. Puis à Hinchingbrooke où Mr Barnwell me montra l'état de la maison, dont les travaux ne sont guère avancés, et je crains que le passage couvert ne soit fort sombre, une fois terminé. Rentré chez moi pour souper et au lit, fort agréable et paisible.


                                                                                                           22 septembre
                                                                                                  Jour du Seigneur

            Avant l'office promenade avec mon père dans le jardin. Echafaudons des plans. A l'église où nous dîmes des prières en commun et subîmes un sermon fastidieux d'un certain Mr Case qui, cependant chanta fort bien. Dîner et m'occupai avec mon père de ses comptes, tout l'après-midi, puis des gens viennent pour affaires.
            Mr Barnwell vint le soir souper avec nous. Après avoir équilibré mes comptes avec mon père, au lit.


                                                                                                               23 septembre
nicole-hamers.skynetblogs.be
Afficher l'image d'origine            Levé et peiné d'entendre mon père et ma mère se chamailler comme ils le faisaient à Londres. Je leur en fis la remarque et leur dis que je ne m'occuperai plus de rien s'ils ne dépensaient ce qu'ils avaient en se montrant plus d'affection l'un pour l'autre et de calme. Nous partîmes à cheval pour Baldwick où nous arrivâmes de bonne heure. John Bowles était venu nous voir avant notre départ.. Il y avait une foire, nous nous arrêtâmes pour manger un morceau de porc qu'on nous compta 14 pence, ce qui nous irrita fort/ Puis repartîmes pour Stavenage où nous attendîmes la fin d'une averse, allâmes sans nous presser jusqu'à Welling, fîmes un bon repas et, comme c'était une chambre à deux lits, dormîmes séparément. Noter que de toutes les nuits que j'ai connues au cours de mon existence je n'ai jamais autant joui de mon sommeil en épicurien, réveillé de temps en temps par des gens qui remuaient et la pluie qui tombaient à verse, puis moi, un peu las, si bien que passant de la veille au sommeil, jamais je n'éprouvai de ma vie si grand contentement. Ma femme dit qu'il en avait été de même pour elle.


                                                                                                               24 septembre 1661

            Nous nous levâmes et repartîmes mais trouvons la route fâcheusement transformée par les pluies de la nuit, la voici tout inondée et noyée de boue mais peu profonde. Nous poursuivîmes donc notre voyage sans nous presser, ne nous arrêtant qu'à Halloway, à l'enseigne d'une femme tenant des gâteaux dans une main et une chope de bière dans l'autre, ce qui nous amusa, tant elle ressemblait à la fille qui nous servait.
            Nous arrivâmes chez nous de bonne heure et sans encombre. Trouvant tout en bon ordre et des lettres venues par mer, nous apprenant la bonne santé de milord et son action devant Alger, peu importante toutefois, d'où qu'on la considère. Puis je me rendis directement chez milady et restai causer avec elle. Retour chez moi et, après souper, au lit tous deux, un peu las. Aucune mauvaise nouvelle depuis mon départ, sinon de mon frère Tom, mais rétabli.


                                                                                                                25 septembre
                                                                                                                    mjc-chambery.com
Afficher l'image d'origine            En voiture avec sir William Penn à Covent Garden. Pendant le trajet je le questionnai et il me dit que je ne devais pas craindre que l'échec devant Alger retombât sur milord, car on  ne pouvait pas faire plus qu'il n'avait fait. J'allai voir mon cousin Thomas et l'entretins longuement de notre affaire à la campagne. La sottise de mon oncle Thomas l'afflige.. Rencontrai ensuite sir Robert Slingsby dans St Martin's Lane, tous deux dans son carrosse en passant par les écuries royales, chemin emprunté maintenant par toutes les voitures en raison des travaux à Charing Cross où on creuse une tranchée pour drainer les rue, jusqu'à Whitehall. Me rendis chez Mr Coventry, discutai. Puis chez milord Crew où je dînai. Sa femme et lui me traitèrent avec la plus grande prévenance. Il craint, je le vois bien, que la réputation de milord ne souffre un peu dans les conversations, de l'issue de la dernière entreprise. Mais qu'y faire maintenant ?
            La reine d'Angleterre, c'est son titre à présent, tient, à ce qu'on me dit, cour ouverte et séparée à Lisbonne.
            Puis, contre ma nature et ma volonté, mais le Diable a sur moi un tel Pouvoir que je ne pus refuser, au théâtre voir Les joyeuses commères de Windsor, mal joué. Ensuite avec sir William Penn et sir George Ayscue à la Taverne, puis chez moi avec lui en voiture.
            Après souper, à mes prières, et au lit, l'esprit parfaitement en paix, en dépit des affaires qui m'occupent. Dieu soit béni !


                                                                                                                     26 septembre

            Au bureau toute la matinée. Dînai à la maison puis sortis avec ma femme en voiture pour aller au Théâtre lui faire voir Etre roi ou pas fort bien joué. Retour à la maison..... Dans mon cabinet pour écrire des lettres et le journal de ces six derniers jours.


                                                                                                                      27 septembre
lilianangelin.wordpress.com
Afficher l'image d'origine           En voiture jusqu'à Whitehall avec ma femme qui se rendit chez Mrs Pearse, aujourd'hui pour ses relevailles au terme de son mois de couches. J'allai chez Mr Montagu et à d'autres affaires. A midi retrouvai ma femme à la Garde-Robe où nous dînâmes et rencontrâmes le capitaine Country, mon capitaine que j'aimais tant et qui m'emmena dans le Sund. Il apportait du raisin et des melons envoyés de Lisbonne par milord, première fois que j'en voyais. Ma femme et moi en mangeâmes et en emportâmes à la maison. Le raisin est excellent. Nous restâmes là et l'après-midi Mr Montagu vint comme convenu parler à milady et à moi-même des subsistances qu'il serait bon d'acheter et d'envoyer à milord. Il nous dit qu'il  n'était pas nécessaire de nous en préoccuper car le roi paierait tout et lui-même se chargerait de l'achat, ce qui nous tranquillisa bien. Nous restâmes et soupâmes, et quand ma femme eut mis quelques grappes de raisin dans une corbeille pour le roi, nous rentrâmes en voiture, trouvons un panier de melons qui m'ont été envoyés, à moi aussi.


                                                                                                               28 septembre 1661

            Au bureau le matin, Dînai à la maison puis avec sir William Penn, sa fille, ma femme et moi au Théâtre, où nous vîmes Fils de son père, une fort bonne pièce, la première fois que je la voyais. Le soir à ma maison où nous nous réunîmes et bûmes un verre avant de nous quitter joyeux et, au lit.


                                                                                                              29 septembre
                                                                                                    Jour du Seigneur

            Le matin à l'église, puis dîner avec sir William Penn, sa fille et Mrs Poole..... Nous leur avions préparé un bon repas et fûmes de fort bonne humeur. Derechef à l'église, puis chez sir William Penn où nous soupâmes, avec son frère qui parle fort bien l'espagnol et est d'un naturel gai. Pendant le dîner et le souper je me laissai aller à boire, je ne sais comment, tant de vin que je fus quasiment saoul et que j'eus mal à la tête toute la soirée. Retour chez moi et au lit sans prières, ce qui ne m'est jamais arrivé le dimanche soir, depuis que j'habite ici. J'étais alors si mal en point que je n'osais lire les prières de crainte que mes domestiques ne remarquent mon état. Au lit.


                                                                                                              30 septembre
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Ségovie            Levé ce matin à la clarté de la lune. A 5 heures à Whitehall pour rencontrer Mr Moore au Sceau privé, mais comme il n'était pas arrivé j'allai au Lion Rouge dans King Street prendre ma boisson du matin. Entendis parler d'une dispute entre l'ambassadeur de France et d'Espagne, aujourd'hui pour l'entrée d'un ambassadeur de Suède à la Cour, ils entendaient se disputer la préséance. A ce qu'on disait, notre roi aurait défendu à tout Anglais de se mêler de cette affaire, libre aux autres de faire ce qu'ils voulaient. Pour cette raison touts les soldats de la ville ont été en armes toute la journée, ainsi que les éléments de la milice, et grand branle-bas dans la Cité tout au long de la journée. Ensuite au Sceau privé où avec Mr Moore et quelqu'un qui l'accompagnait nous prîmes une voiture pour Chelsea, affaire pour laquelle j'étais venu. Chez milord le garde du Sceau privé et lui fîmes apposer le sceau pour régler l'affaire. Nous vîmes là, dans la galerie, deux fort beaux tableaux à la lumière du jour, que j'avais vus le soir quelque temps auparavant. Visitai aussi toute la maison que je trouve la mieux agencée de toutes celles que j'aie jamais vues. Retour en voiture, descendis à Whitehall où je vis les soldats et les gens qui couraient de tous côtés. J'allai aux ambassades de France et d'Espagne où je vis des deux côtés force préparatifs, mais c'étaient les Français qui menaient le plus grand tapage et se vantaient le plus. Les autres s'agitaient à peine, si bien que je craignis que les autres ne l'emportassent trop nettement sur eux.
            Puis à la Garde-Robe où je dînai, sors dans les rues et à Cheapside apprends que les Espagnols ont eu le dessus et tué trois chevaux du carrosse français et plusieurs hommes, et ont traversé la Cité immédiatement derrière le carrosse de notre roi. Etonnant de voir comment toute la Cité se réjouissait. En vérité nous aimons tout naturellement les Espagnols, et détestons les Français.
            Mais moi, qui suis curieux de tout, descendis aussitôt au bord du fleuve et pris une barque jusqu'au palais de Westminster, pensant voir arriver là tous les carrosses, mais comme ils étaient déjà repartis je me précipitai derrière eux, avec mon petit valet, à travers des rues pleines de monde et de boue. Je finis par voir passer le carrosse espagnol aux Ecuries, gardé par cinquante hommes au moins, l'épée à la main et nos soldats hurlant de joie. Je suivis le carrosse arrivé en grande pompe et le retrouvai à l'hôtel d'York où couche l'ambassadhôtel eur. Je me rendis ensuite à l'hôtel des Français et constate , une fois de plus, qu'il n'y a au monde plus insolents que ces gens-là, dans la réussite ou au départ d'une entreprise, et plus méprisables dans l'échec. Ils font tous, en effet, une figure d'enterrement. Nulle parole entre eux, mais des hochements de tête.
Afficher l'image d'origine*            La vérité c'est que non seulement les Espagnols se battirent, on le constata, avec le plus d'acharnement, mais qu'ils se montrèrent plus avisés, d'abord en doublant leurs harnais de chaînettes en fer, pour qu'on ne pût les couper, puis en choisissant pour leur carrosse le meilleur emplacement en disposant des gardes autour de chaque cheval, d'autres pour les carrosses, d'autres encore pour progtéger les cochers. Et surtout en attaquant et en tuant les chevaux des Français, si bien que ces derniers ne purent bouger.
            Plusieurs Français tués, un ou deux Espagnols et un Anglais pas balle. Ce qui est clair c'est que les Français étaient au moins quatre fois plus nombreux. Ils avaient près de cent paires de pistolets, et les Espagnols aucune arme à feu, ce qui sera à jamais à l'honneur de ces derniers et à la honte des autres.
            Crotté jusqu'au cou je pris une voiture et rentrai chez moi où je fis enrager ma femme en lui racontant l'histoire et en prenant le parti des Espagnols contre les Français.
            Ainsi se termine le mois. Moi et ma famille en bonne santé. Mais l'esprit occupé des affaires de milord, des miennes et de celles du bureau, où nous préoccupe fort en ce moment l'envoi de forces à Tanger. Ainsi que celui de la flotte à milord, actuellement à Lisbonne pour ramener la reine qui tient sa cour maintenant en tant que reine d'Angleterre.
            L'affaire d'Alger m'a tracassé parce que milord n'a pas fait ce pour quoi il s'était déplacé, encore qu'il ait fait tout ce qui était humainement possible de faire.
            Le manque d'argent met du désordre en toutes choses, et surtout dans les affaires de la Marine, pourtant je ne vois pas que le roi se soucie de faire rentrer de l'argent, mais il forme de nouveaux projets pour en dépenser.

*  euro-synergies.hautetfort.com
                                                                                              à suivre/

                                                Octobre

                                                                                             Le 1er octobre 1661
            ........../ Ce matin, ma femme.......

jeudi 7 avril 2016

Nuit de Noël Guy de Maupassant ( nouvelles France )

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                                                Nuit de Noël

            Le Réveillon ! Le Réveillon ! Ah ! mais non, je ne réveillonnerai pas ! "
            Le gros Henri Templier disait cela d'une voix furieuse, comme si on lui eût proposé une infamie.
            Les autres, riant, s'écrièrent :
            - Pourquoi te mets-tu en colère ?
            Il répondit :
            - Parce que le Réveillon m'a joué le plus sale tour du monde, et que j'ai gardé une insurmontable horreur pour cette nuit stupide de gaieté imbécile.
            - Quoi donc ?
            - Quoi ? Vous voulez le savoir ? Eh bien, écoutez.

                                                                                *****
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Afficher l'image d'origine            Vous vous rappelez comme il faisait froid, voici deux ans, à cette époque, un froid à tuer les pauvres dans la rue. La Seine gelait, les trottoirs glaçaient les pieds à travers les semelles des bottines. Le monde semblait sur le point de crever.
            J'avais alors un gros travail en train et je refusai toute invitation pour le réveillon, préférant passer la nuit devant ma table. Je dînai seul, puis je me mis à l'oeuvre. Mais voilà que, vers dix heures, la pensée de la gaieté courant Paris, le bruit des rues qui me parvenait malgré tout, les préparatifs de souper de mes voisins entendus à travers les cloisons, m'agitèrent. Je ne savais plus ce que je faisais, j'écrivais des bêtises et je compris qu'il fallait renoncer à l'espoir de produire quelque chose de bon cette nuit-là.
            Je marchai un peu à travers ma chambre. Je m'assis, je me relevai. Je subissais, certes, la mystérieuse influence de la joie du dehors, et je me résignai.
            Je sonnai ma bonne et je lui dis :
            - Angèle, allez m'acheter de quoi souper à deux : des huîtres, un perdreau froid, des écrevisses, du jambon, des gâteaux. Montez-moi deux bouteilles de champagne, mettez le couvert et couchez-vous.
            Elle obéit, un peu surprise. Quand tout fut prêt j'endossai mon pardessus, et je sortis.
            Une grosse question restait à résoudre : " Avec qui allais-je réveillonner ? "
            Mes amies étaient invitées partout. Pour en avoir une il aurait fallu m'y prendre d'avance. Alors, je songeai à faire en même temps une bonne action. Je me dis :
            " Paris est plein de pauvres et belles filles qui n'ont pas un souper sur la planche et qui errent en quête d'un garçon généreux. Je veux être la Providence de Noêl d'une de ces déshéritées.
            Je vais rôder, entrer dans les lieux de plaisir, questionner, chasser, choisir à mon gré. " 
            Et je me mis à parcourir la ville.
            Certes, je rencontrai beaucoup de pauvres filles cherchant aventure, mais elles étaient laides à donner une indigestion, ou maigres à geler sur pied si elles s'étaient arrêtées.
            J'ai un faible, vous le savez, j'aime les femmes nourries. Plus elles sont en chair, plus je les préfère. Une colosse me fait perdre la raison.
Michel Charvet 29            Soudain, en face du théâtre des Variétés, j'aperçois un profil à mon gré. Une tête puis, par-devant, deux bosses, celle de la poitrine, fort belle, celle du dessous surprenante : un ventre d'oie grasse. J'en frissonnai, murmurant !
            " Sacristi, la belle fille ! "
            Un point me restait à éclaircir : le visage.
            Le visage, c'est le dessert, le reste c'est... c'est... le rôti.
            Je hâtai le pas, je rejoignis cette femme errante et, sous un bec de gaz, je me retournai brusquement.
            Elle était charmante, toute jeune, brune avec de grands yeux noirs.
            Je fis ma proposition qu'elle accepta, sans hésiter.
            Un quart d'heure plus tard, nous étions attablés dans mon                  appartement.                                                                                                 alsace.collections.com 
            Elle dit en entrant :
            - Ah ! on est bien ici.
            Et elle regarda autour d'elle avec la satisfaction visible d'avoir trouvé la table et le gîte en cette nuit glaciale. Elle était superbe, tellement jolie qu'elle m'étonnait, et grosse à ravir mon coeur pour toujours.
            Elle ôta son manteau, son chapeau, s'assit et se mit à manger. Mais elle ne paraissait pas en train et parfois, sa figure un peu pâle tressaillait comme si elle eût souffert d'un chagrin caché.
            Je lui demandai :
            - Tu as des embêtements ?
            Elle répondit :
            - Bah ! oublions tout.
            Et elle se mit à boire. Elle vidait d'un trait son verre de champagne, le remplissait et le revidait encore, sans cesse.
            Bientôt un peu de rougeur lui vint aux joues, et elle commença à rire.
            Moi, je l'adorais déjà, l'embrassant à pleine bouche, découvrant qu'elle n'était ni bête, ni commune, ni grossière comme les filles du trottoir. Je lui demandai des détails sur sa vie. Elle répondit :
            - Mon petit, cela ne te regarde pas.
            Hélas ! une heure plus tard...
            Enfin, le moment vint de se mettre au lit et, pendant que j'enlevais la table dressée, devant le feu, elle se déshabilla vivement et se glissa sous les couvertures.
            Mes voisins faisaient un vacarme affreux, riant et chantant comme des fous, et je me disais :
            " J'ai eu rudement raison d'aller chercher cette belle fille. Je n'aurais jamais pu travailler.             Un profond gémissement me fit me retourner. Je demandai :
            - Qu'as-tu ma chatte ?
Princesse chat et souris verte tableau acrylique pour chambre d'enfant  *           Elle ne répondit pas, mais elle continuait à pousser des soupirs douloureux, comme si elle eût souffert horriblement.
            Je répondis :
            - Est-ce que tu te trouves indisposée ?
            Et soudain, elle jeta un cri, un cri déchirant. Je me précipitai, une bougie à la main.
            Son visage était décomposé par la douleur, et elle se tordait les mains, haletante, envoyant du fond de sa gorge ces sortes de gémissements sourds qui semblent des râles et qui font défaillir le oeur.
            Je demandai, éperdu :
            - Mais qu'as-tu ? dis-moi, qu'as-tu ?
            Elle ne répondit pas et se mit à hurler.
            Tout à coup les voisins se turent, écoutant ce qui se passait chez moi.
            Je répétais :
            - Où souffres-tu, dis-moi, où souffres-ru ?
            Elle balbutia :
            - Oh ! mon ventre ! mon ventre !
            D'un seul coup je relevai la couverture, et j'aperçus...
            Elle accouchait, mes amis.
            Alors, je perdis la tête. Je me précipitai sur le mur que je heurtai à coups de poing, de toute ma force, en vociférant :
            - Au secours ! Au secours !
            Ma porte s'ouvrit ; une foule se précipita chez moi, des hommes en habit, des femmes décolletées, des Pierrots, des Turcs, des Mousquetaires. Cette invasion m'affola tellement que je ne pouvais même plus m'expliquer.              
            Eux, ils avaient cru à quelque accident, à un crime peut-être, et ne comprenaient plus.
            Je dis enfin :
            - C'est... c'est... cette... cette femme qui... qui accouche.
            Alors tout le monde l'examina, dit son avis. Un capucin surtout prétendait s'y connaître, et voulait aider la nature.
            Ils étaient gris comme des ânes. Je crus qu'ils allaient la tuer, et je me précipitai, nu-tête, dans l'escalier pour chercher un .  médecin qui habitait dans une rue voisine.        
Afficher l'image d'origine            Quand je revins avec le docteur, toute ma maison était  debout. On avait rallumé le gaz de l'escalier. Les habitants de tous les étages occupaient mon appartements, quatre débardeurs attablés achevaient mon champagne et mes écrevisses.
            A ma vue, un cri formidable éclata, et une laitière me présenta dans une serviette un affreux petit morceau de chair ridée, plissée, geignante, miaulant comme un chat, et elle me dit :      
            - C'est une fille.                                                                    
            Le médecin examina l'accouchée, déclara douteux son état, l'accident ayant eu lieu immédiatement après un souper, et il partit en m'annonçant qu'il allait m'envoyer immédiatement une garde-malade et une nourrice.
            Les deux femmes arrivèrent une heure après apportant un paquet de médicaments.
            Je passai la nuit dans un fauteuil, trop éperdu pour réfléchir aux suites.
            Dès le matin, le médecin revint. Il trouva la malade assez mal.
            Il me dit :
            - Votre femme, monsieur...
            Je l'interrompis :
            - Ce n'est pas ma femme.
            Il reprit :
            - Votre maîtresse, peu m'importe.
            Et il énuméra les soins qu'il lui fallait, le régime, les remèdes.
            Que faire ? Envoyer cette malheureuse à l'hôpital ? J'aurais passé pour un manant dans toute la maison, dans tout le quartier.
            Je la gardai. Elle resta dans mon lit six semaines.
            L'enfant ? Je l'envoyai chez des paysans de Poissy. Il me coûte encore cinquante francs par mois. Ayant payé dans le début, me voici forcé de payer jusqu'à ma mort.
            Et, plus tard, il me croira son père.
            Mais, pour comble de malheur, quand la fille a été guérie... elle m'aimait... elle m'aimait éperdument, la gueuse !
     
                                                                    *****                                     
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            - Eh bien ?
            - Eh bien, elle était devenue maigre comme un chat de gouttière. Et j'ai flanqué dehors cette carcasse qui me guette dans la rue, se cache pour me voir passe, m'arrête le soir quand je sors, pour me baiser la main, m'embêter enfin à me rendre fou.

            Et voilà pourquoi je ne réveillonnerai plus jamais.


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                                                                Maupassant
                                                                                ( in Contes Melle Fifi )